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THÉORIE & PRAXIS

Interview de George Mavrikos, ancien secrétaire général de la FSM, publiée dans « Rebelión » (parties I, II et III)

Interview de George Mavrikos, ancien secrétaire général de la FSM, publiée dans « Rebelión » (parties I, II et III)

Nous publions aujourd’hui les trois parties de l’interview de George Mavrikos, ancien secrétaire général de la FSM, réalisée par Luis Miguel Busto Mauleón et publiée dans le magazine électronique « Rebelión ».

Traduction française par Maria Barouti.

George Mavrikos est né sur l’île grecque de Skyros il y a 72 ans. Dès son enfance, il a compris que l’exploitation est la base des relations de travail dans un système capitaliste et que la solution pour l’émancipation de la classe ouvrière exige de vaincre ce système criminel. Éduqué selon les principes socialistes, il a été dirigeant syndical dans son pays d’origine, la Grèce, licencié de sept entreprises pour avoir défendu sa classe et a été un cadre syndical très important. Sa vision internationaliste et clairvoyante a été fondamentale dans son travail au sein de la Fédération syndicale mondiale, en tant que vice-président et enfin en tant que secrétaire général de 2005 à 2022.

En mai dernier, la FSM a tenu son XVIII congrès à Rome et George Mavrikos a quitté son poste, comme il l’avait annoncé lors du XVII congrès à Durban. Cela ne signifie pas une retraite totale, puisque lors de ce même congrès, il a accepté sa nomination en tant que président honoraire du syndicat international.

Dans cette interview, nous voulons souligner le rôle indispensable qu’un ouvrier et syndicaliste né sur une minuscule île égéenne a joué en contribuant à l’avancée de la classe ouvrière internationale. Si la classe ouvrière, dans l’éternelle lutte des classes, prenait l’initiative contre la bourgeoisie, il ne fait aucun doute que le nom de George Mavrikos figurerait au panthéon des grands hommes de notre histoire.

Première partie :  » Un leader syndical ne « naît » pas magiquement comme Athéna de la tête de Zeus, il est « forgé » sur l’enclume d’Héphaïstos.  » (publié le 18 juillet 2022)

 

 

Ι. De Skyros à Athènes

1-Quelles sont vos premières expériences dans le monde du travail et syndical?

A Skyros, dès leur plus jeune âge, tous les enfants travaillaient dans les champs, avec les animaux, dans les forêts. Mais nous ignorions les exigences sociales. Par exemple, lorsqu’à l’âge de 8 ans je me suis cassé le bras, un « guérisseur » l’a immobilisé à l’aide de planches et de cordes et nous avons dû attendre 4 jours que le bateau passe pour aller à l’hôpital à Athènes. Tout cela paraissait normal à nos yeux d’enfants. Chaque année, je voyais mon père se battre avec le marchand qui venait acheter nos agneaux sans pouvoir comprendre la cause de cette bagarre. J’écoutais ma mère -qui n’était jamais allée à l’école- maudire les marchands, mais je restais dans l’ignorance. Tous ces événements se sont déroulés sur cette petite île. En fait, il s’agit d’un rocher au milieu de la mer, d’une superficie de 210 km2 et qui comptait 2.000 habitants à l’époque. Aujourd’hui, elle compte 3.400 habitants.

 

Skyros, 1959

En 1965, à l’âge de 14 ans, je suis parti pour la capitale, Athènes. Mon père voulait me garder sur l’île pour que je devienne berger. Nous avions un troupeau, j’étais le fils aîné et il voulait que je lui succède dans l’élevage. Ma mère, bien que tolérante et obéissante à mon père en tout, était furieuse d’apprendre que ses fils resteraient à Skyros. C’était le seul point sur lequel elle s’opposait à mon père, « c’est hors de question, aucun de nos enfants ne restera ici pour souffrir ce que nous et nos parents avons souffert… »

Je me suis installé dans une petite pièce de six mètres carrés et, en juillet 1965, j’ai participé pour la première fois à une manifestation. Un de mes proches m’avait emmené à la manifestation. Ce jour-là, la police a tué l’étudiant Sotiris Petroulas, pour lequel le grand compositeur Mikis Theodorakis a écrit la chanson qui est chantée depuis lors dans toutes les manifestations de travailleurs. Ce fut ma première expérience.

Voici comment j’ai commencé. Dans les années 1966-1967, après l’école, l’après-midi, je travaillais dans une ferme locale à creuser et à planter des fleurs. Là, de vieux travailleurs expérimentés nous ont ouvert les yeux et les oreilles.

En avril 1967, il y avait une dictature militaire en Grèce. À l’école, j’ai participé à toutes les grèves des élèves.

 

Athènes, 1977 (commémoration du soulèvement de l’école polytechnique)

Au cours de l’été 1969, j’ai travaillé pendant trois mois dans l’industrie textile allemande HUDSON. C’est là que j’ai fait ma première grève et que j’ai été licencié pour la première fois pour cette raison.

Au cours de l’été 1969, j’ai travaillé pendant trois mois dans l’industrie textile allemande HUDSON. C’est là que j’ai fait ma première grève et que j’ai été licencié pour la première fois pour cette raison.

En 1973 le soulèvement de l’école polytechnique a eu lieu, au cours duquel 27 militants ont été assassinés.

J’étudiais et en même temps je travaillais toujours et je développais une activité syndicale.

Au début, j’ai été élu président d’un comité d’usine, puis président d’un syndicat d’entreprise et j’ai ensuite été élu Secrétaire Général de la GSEE (Confédération Générale des Travailleurs Grecs), Vice-président de la FSM, coordinateur de son bureau régional européen et enfin Secrétaire Général de la FSM.

Pour mon activité syndicale, sociale et politique, j’ai été licencié 7 fois, j’ai été arrêté plusieurs fois par la police et j’ai été jugé et condamné par les tribunaux bourgeois de mon pays.

2-Dès le début, vous vous présentez comme un dirigeant syndical. Comment naît un cadre syndical?

Je pense que cette question va au-delà de la trajectoire et de l’expérience syndicale d’un simple militant, révolutionnaire et syndicaliste de classe. Il s’agit de quelque chose de beaucoup plus large qui est lié une grande question qui a concerné – et devrait concerner – les syndicats de classe dans le monde entier. En d’autres termes, il s’agit des caractéristiques qu’un syndicaliste révolutionnaire, anticapitaliste et internationaliste, un dirigeant syndical de classe, devrait avoir et de la manière dont ces éléments « naissent » dans le feu de la lutte des classes, dans le conflit avec l’ennemi de classe, dans le travail quotidien dans l’industrie, dans le secteur, dans le milieu de la classe ouvrière.

En même temps, je crois que cette question a aussi une autre dimension: celle de savoir comment ces éléments sont développés et maintenus tout au long de la trajectoire syndicale du dirigeant, de sorte que le dirigeant lui-même devienne meilleur, plus efficace, plus ferme dans le cadre du système mondial de la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière. Car nous savons tous que la lutte des classes n’est pas une « course de 100 mètres » mais un « marathon ». Je me souviens de la phrase de Brecht : « Il y a des hommes qui luttent un jour et ils sont bons, d’autres luttent un an et ils sont meilleurs, il y a ceux qui luttent pendant de nombreuses années et ils sont très bons, mais il y a ceux qui luttent toute leur vie et ceux-là sont les indispensables. »

En examinant les caractéristiques qui créent un cadre syndical de classe, un dirigeant et un fils digne de la classe qui lui a donné naissance, nous nous penchons tout d’abord sur l’élément clé : la prise de conscience qu’en tant que syndicaliste et individu, toute sa pensée et son action, toute sa force physique, mentale et intellectuelle sont consacrées à la lutte pour l’abolition de l’exploitation capitaliste, à l’amélioration des conditions de vie de ses frères et sœurs de classe.

Mais cette perception n’est pas une simple opinion, ce n’est pas une hypothèse théorique. Au contraire, une telle perception vous oblige, si vous y croyez et l’adoptez, à agir et à développer des caractéristiques individuelles spécifiques:

– Croire en la classe ouvrière et en sa mission historique. La foi nous rend audacieux dans la bataille, courageux dans la lutte.

– Améliorer chaque jour ses connaissances et son niveau idéologico-politique, car c’est avec la connaissance qu’on apprend à lutter correctement.

– Connaître l’histoire du mouvement ouvrier aux niveaux local, sectoriel, régional, national et international.

– Remplir son devoir internationaliste avant tout à l’intérieur de son propre pays. Chacun est jugé avant tout dans son pays, son secteur et son lieu de travail.

– Être internationaliste, antifasciste et antiraciste et respecter les migrants et les réfugiés.

– Être jugé par les résultats de son travail, par ses actions et non par ses paroles.

– Faire preuve de courage et d’intrépidité face à l’ennemi de classe, aux exploiteurs et à leurs instruments. Démasquer sans pitié les diffamateurs des militants authentiques.

– Respecter et aimer ses camarades, son environnement familial.

– Prendre soin de sa santé mentale, psychologique et physique afin d’être préparé à la lutte et de résister aux difficultés de la lutte des classes.

– Avoir le cœur chaud, l’esprit froid et les mains propres.

On voit bien que ces caractéristiques ne se développent pas dans un environnement stérile, dans l’isolement, dans le narcissisme, dans l’introversion. Elles ne sont pas acquises par un bureaucrate qui ne s’intéresse qu’à son poste, son confort et aux faveurs accordés à l’ennemi de classe. Au contraire, ces éléments fermentent, naissent et s’épanouissent dans le conflit. Après tout, la vie elle-même « respire dans le conflit ». On pourrait donc dire qu’un dirigeant syndical ne « naît » pas magiquement, comme la déesse mythique Athéna, de la tête de Zeus. Il est avant tout « forgé » sur l’enclume d’Héphaïstos.

3-La Confédération Générale des Travailleurs Grecs et le PAME. Pensez-vous qu’il existe actuellement en Grèce des circonstances particulières dans le monde du travail ?

J’ai la ferme conviction et j’ai souligné dans de nombreux discours, écrits et textes au fil des ans qu’il faut être très prudent lorsqu’on parle de circonstances particulières au sein d’un pays et de son mouvement. En tout cas, c’est la même expérience historique qui nous oblige à être prudents, surtout si l’on tient compte du fait que, historiquement, de grandes concessions, des compromis inacceptables et des régressions honteuses par rapport à la ligne révolutionnaire du mouvement ont été faits au nom des « circonstances particulières » d’un pays. Et votre pays, après tout, l’État espagnol, a une riche expérience du précédent de l’eurocommunisme et des recettes de Santiago Carrillo et compagnie, lorsque beaucoup de l’eau a été versée dans le vin du mouvement et a ainsi changé la ligne sous l’excuse des particularités nationales. La classe ouvrière de votre pays a souffert des résultats tragiques de cette politique pendant des décennies et vous les connaissez mieux que quiconque.

Un deuxième piège caché dans une telle discussion sur les « particularités » de chaque mouvement réside dans le chauvinisme et le désir de paraître plus important qu’on ne l’est; de tels comportements peuvent être nourris par certains mouvements. Je dis souvent que l’une des pires choses qui puisse arriver à un mouvement ouvrier est de se considérer comme meilleur que les autres. Et là, nous avons toujours marché très prudemment, surtout depuis que le PAME a assumé la direction de la FSM de 2005 à 2022. Nous ne nous sommes jamais considérés comme les maîtres absolus du mouvement, nous n’avons jamais essayé de transférer mécaniquement l’expérience grecque sur la scène syndicale internationale, nous n’avons jamais joué au plus fin à d’autres mouvements, mais avec un esprit de camaraderie, nous avons essayé d’apporter toute expérience – positive ou négative – de notre mouvement national au niveau international afin d’éviter, autant que possible, les erreurs et les omissions, toujours dans le but de renforcer le courant de classe dans le mouvement syndical international. En d’autres termes, nous n’avons jamais cru, comme certains le font, que la FSM devait fonctionner comme un ministère des affaires étrangères d’un pays ou d’un mouvement quelconque.

Quant à l’analyse de la réalité syndicale et politique grecque, c’est une question d’une autre nature. Il est vrai qu’après les changements radicaux dans le rapport de forces international en 1989-1991 et les renversements contre-révolutionnaires, nous avons vu des mouvements entiers baisser leurs drapeaux rouges, parler de collaboration sociale, adorer les principes de l’Union européenne, renier leur passé révolutionnaire ; des organisations entières avec une histoire de luttes et de sacrifices ont cessé d’exister du jour au lendemain ou se sont transformées en serviteurs du capital. Bien sûr, dans de nombreux pays, des forces ont résisté ; dans certains pays de manière plus forte et dans d’autres de manière plus faible ; parfois dans des conditions meilleures et parfois dans des conditions pires.

L’exemple de la Grèce et de son mouvement de classe montre – à mon avis – une attitude correcte avec des réflexes positifs. Les forces qui, à l’occasion des renversements contre-révolutionnaires, ont saisi l’opportunité d’appeler à la collaboration de classe, sont parties après une lutte idéologique et politique intense, se sont isolées, ont pris leurs distances, y compris d’un point de vue organisationnel. C’est alors qu’a commencé une longue et difficile période de reconstruction, de réorganisation et de regroupement, avec les résultats que l’on connaît aujourd’hui. On peut donc dire que la division de l’époque a aidé, n’a pas affaibli le mouvement. Elle l’a renforcé, elle lui a permis d’être un mouvement ouvrier et syndical par et pour la classe ouvrière. Je pense donc que les résultats sont tangibles en ce qui concerne le niveau de vie lui-même de la classe ouvrière dans mon pays. Parlant avec avec prudence, on peut noter que de nombreuses politiques anti-ouvrières, plusieurs directions anti-populaires de l’Union européenne en Grèce ont été retardées par rapport à d’autres pays européens dont les mouvements ont embrassé la collaboration de classe. Par exemple, les directions déjà envisagées dans le traité de Maastricht de 1992, les réformes réactionnaires envisagées dans le Livre blanc de l’UE et d’autres législations ont été considérablement retardées ou adoptées à un coût politique plus élevé pour le capital en Grèce. En revanche, dans les pays où les syndicats ont « déifié » le dialogue social et la collaboration de classe, les pertes pour la classe ouvrière ont été plus importantes, plus rapides et, dans une certaine mesure, plus graves. Je ne dis pas qu’en Grèce cela a été le seul facteur, mais cela a certainement eu un effet bénéfique et a retardé un processus de démantèlement des acquis des travailleurs qui, ailleurs, est arrivé comme un « rouleau compresseur ».

4-L’expérience du PAME est-elle le modèle à suivre dans le nouveau syndicalisme?

Je crois que le syndicalisme est « nouveau » seulement s’il nous rapproche du « nouveau monde » de la classe ouvrière. Il n’est jeune et frais que s’il a des idées, une stratégie et une tactique vraiment progressistes et de classe. S’il défend notre classe et organise en même temps son attaque pour tirer davantage de gains du capital. Un mouvement syndical n’est « nouveau » que s’il nous rapproche un peu plus et ouvre la voie à l’émancipation finale de la classe ouvrière. Pensons au bruit qu’ils ont fait autour des « nouvelles » valeurs syndicales du « nouveau » monde créé par les impérialistes après 1991. À l’époque, on nous disait que le nouveau visage du syndicalisme était le tripartisme avec les patrons et les gouvernements, la « réglementation » du droit de grève, la fraternité entre travailleurs et patrons. En fait, rien de tout cela n’était nouveau; il s’agissait de visions moisies, sorties de l’étang du réformisme et de la régression sociale-démocrate. Et, en fait, ce sont les mêmes points de vue qui ont été combattus par des forces ouvrières conséquentes à l’époque de Marx, à l’époque de Lénine, à l’époque de Staline, etc. C’est juste qu’aujourd’hui, on leur sert un nouvel emballage qui, cependant, ne parvient pas à masquer leur décadence.

Premier mai à Athènes, 2004

Les lignes principales au sein du mouvement syndical de chaque pays ont toujours été deux: Lutte ou collaboration? Rupture ou compromis ? En ce sens, la lutte entre les deux est et sera irréconciliable tant qu’il y aura des sociétés divisées en classes, quelles que soient les corrélations entre les deux camps: que ces corrélations soient favorables au camp militant, comme en 1945 lors de la fondation de la FSM, ou négatives comme aujourd’hui, avec la domination du courant réformiste.

Maintenant, pour répondre au cœur de la question, si le modèle « PAME » doit être suivi dans le syndicalisme de classe avec les caractéristiques que nous avons définies, il faut tenir compte du fait que le PAME a été créé comme un produit des traditions des travailleurs, de l’histoire des luttes de classe en Grèce, en fonction de l’expérience nationale du mouvement des travailleurs. En d’autres termes, lorsque les besoins mêmes de la lutte des classes en Grèce ont marqué la tâche d’une intervention indépendante du courant de classe en dehors de la GSEE réformiste. Cependant, la forme organisationnelle du PAME est un choix du syndicalisme de classe grec comme il s’est cristallisé dans mon pays à un moment historique spécifique du développement du mouvement. En d’autres termes, le PAME est la forme choisie par les travailleurs militants de Grèce pour « habiller » leur mouvement. La manière dont le mouvement syndical de classe de chaque pays choisira de progresser sur le plan organisationnel dépend de lui-même, de ses processus collectifs, des traditions et coutumes de sa classe ouvrière, du niveau de développement de la lutte des classes, des corrélations, de l’intensité de la répression étatique, etc. Mais ce qui est toujours en jeu, c’est le contenu : le contenu des revendications, la rupture avec le réformisme et la social-démocratie, le conflit avec les illusions et le courant de soumission qui existe encore dans de nombreux pays et leurs mouvements.

En d’autres termes, l’objectif est que les forces de classe développent partout l’action qui leur correspond, qu’elles soient dignes de leur nom et du titre de « syndicats rouges », qu’elles agissent en toutes circonstances, à tout moment. Voilà le contenu, l’essence d’être un mouvement syndical de classe. En d’autres termes, la forme peut être quelque chose de flexible qui s’adapte aux besoins de la vie et se soumet à la stratégie du mouvement ouvrier et syndical. Mais la question du contenu de classe de notre action, dans le sens de l’anticapitalisme, de la lutte contre l’exploitation, doit être commune aux prolétaires du monde entier. Et sur ce contenu, nous ne sommes jamais autorisés à accepter la moindre concession.

ΙΙ. D’Athènes à la FSM

5-Le 13ème Congrès de la FSM à Damas est crucial pour l’avenir du syndicalisme de classe. Quelles sont, selon vous, les décisions les plus importantes qui y sont prises?

Je vous parlerai du fond du cœur et en tant que témoin de ce qui s’est passé en ces jours de novembre 1994 à Damas, lorsque j’étais présent au nom du mouvement syndical de classe de Grèce, en tant que Secrétaire Général de l’ESAK (Mouvement syndical unifié militant) et Secrétaire Général de la GSEE (Confédération Générale des Travailleurs Grecs). En fait, récemment, dans mes discours d’adieu comme Secrétaire Général de la FSM à Rome, j’ai évoqué certains événements du 13e Congrès décisif de Damas. Je crois sincèrement que l’importance capitale de ce Congrès pour la classe ouvrière mondiale sera étudiée à l’avenir, et nombreux seront ceux qui auront recours à ses décisions et la lutte qui s’y est déroulée. Les événements qui se sont déroulés à cette époque ont profondément marqué l’avenir syndical mondial, ils ont eu un grand impact sur nous également.

Le contexte politique mondial général dans lequel s’est déroulé le Congrès de Damas est plus ou moins connu. Le rapport de force géopolitique mondial entre les forces du socialisme et du capitalisme vient d’être renversé. L’Union soviétique et les États socialistes d’Europe centrale et orientale n’existent plus. Leurs syndicats de masse, qui constituaient l’épine dorsale de la FSM, ont cessé d’exister ou ont muté. La FSM est en train de « perdre ses forces ». Au milieu d’une avalanche d’événements, d’autres cachent qu’ils sont affiliés à la FSM, tandis que d’autres s’empressent de signer des déclarations de repentir à la CISL et à la CES, demandant à y être affiliés. Pour la bourgeoisie, c’est une excellente occasion de se débarrasser une fois pour toutes de la FSM, de régler de vieux comptes, de donner un coup de grâce aux forces de classe. Le 13e Congrès de Damas est le terrain où cette lutte s’est exprimée, où la question de savoir si la FSM continuerait d’exister a été jugée. En d’autres termes, c’est là que nous avons vu se dérouler le plan organisé pour la dissolution de la FSM. C’est là que la bourgeoisie, les sociaux-démocrates et le réformisme syndical international ont cru pouvoir prendre leur revanche.

 

Carte de délégué, 13e congrès de la FSM, Damas, Syrie, 1994

L’opération de dissolution de la FSM a été orchestrée par les opportunistes européens, dirigés par le groupe dirigeant de la CGT France, avec l’aide de la CGIL italienne et d’autres pays. Dans un tel contexte de dissolution, il a été décidé de convoquer le 13e Congrès de la FSM. Vous savez, le choix d’un pays d’accueil capable de couvrir les exigences financières élevées d’un congrès syndical mondial n’a pas été facile. Et alors que dans le passé, tous les pays rivalisaient pour accueillir un congrès de la FSM, en ce moment-là  il n’y avait pas d’offre. C’est donc la Syrie qui a été choisie, car ses dirigeants, sous la direction du Président Hafez Al-Assad, ont accepté d’organiser et de couvrir toutes les dépenses du Congrès.

Près de 30 ans plus tard, nous pouvons dire que le mouvement syndical militant anti-impérialiste international a une dette de gratitude envers la classe ouvrière syrienne et le G.F.T.U., car, dans des conditions de persécution, ils ont accepté d’organiser le Congrès à Damas et, avec la C.T.C. de Cuba, l’A.I.T.U.C. de l’Inde et le V.G.C.L. du Vietnam, ont joué un rôle de premier plan dans l’opposition des propositions visant à la dissolution de la FSM.

Lors du Congrès de Damas, qui s’est tenu du 22 au 26 novembre 1994, tout le monde s’attendait à ce que la vie de la FSM prenne fin. Les dirigeants français de la CGT en étaient si sûrs qu’ils ont même appelé les délégations africaines à ne pas assister au Congrès car, disaient-ils, il s’agissait d’une réunion de pure formalité qui déciderait sa dissolution. Cependant, compte tenu de la situation critique, outre les opportunistes et l’aristocratie syndicale du monde occidental, des dirigeants syndicaux de nombreux pays du monde étaient arrivés à Damas, que leurs syndicats soient affiliés ou non à la FSM. Il s’agissait de cadres politiques et syndicaux qui, chaque soir, pendant toute la durée du congrès et lors de réunions spéciales, analysaient la situation et fixaient la tactique pour le jour suivant du congrès.

Lors de ces réunions, Pedro Ross Leal, Secrétaire Général de la CTC cubaine et membre du bureau politique du Parti Communiste de Cuba, a été le premier à prendre la parole, suivi de K.L. Mahendra de l’A.I.T.U.C.-Inde, ainsi que d’autres dirigeants du mouvement de classe. Le vétéran communiste vietnamien et secrétaire général de la V.G.C.L., Cu Thi Hau, le dirigeant syrien du G.F.T.U. Iz Al-Din Nasser, Adib Miro de Syrie, les syndicalistes libyens et bien d’autres se sont également distingués par leur position intransigeante. A la fin de la journée, le Congrès de Damas a décidé à la majorité la poursuite du fonctionnement de la FSM et a pris des mesures pour son renforcement et sa modernisation.

En même temps, lorsque nous parlons de lutte idéologique, nous devons dire qu’à l’occasion du débat sur l’existence ou la non-existence de la FSM, au Congrès de Damas, des points clés de la lutte ont été développés autour de l’analyse de la classe ouvrière: comme l’existence ou non d’une classe ouvrière, l’existence ou l’abolition de la lutte des classes par la collaboration des classes, et bien d’autres choses encore. Il s’agissait d’un conflit généralisé, car les deux pôles et les deux lignes étaient forts.

Alexander Zharikov (Russie) est réélu secrétaire général de la FSM et Indrajit Gupta (Inde) est élu président. Les Cubains et de nombreux autres délégués ont proposé de remplacer Alexander Zharikov au poste de secrétaire général, mais sans faire de proposition différente et réaliste. Par conséquent, comme il n’était pas possible de trouver un autre dirigeant syndical volontaire, la réélection du camarade russe a finalement été acceptée, bien que les syndicats russes se soient déjà éloignés de la FSM.

En général, nous pouvons dire que, bien que le 13ème Congrès n’ait pas résolu – et ne pouvait pas résoudre dans une large mesure – les questions qui ont continué à tourmenter l’existence de la FSM à l’avenir, il a jeté les bases de la contre-attaque, éduqué une génération de syndicalistes, « galvanisé » une partie de nos forces et donné une réponse pratique à ceux qui disaient que le mouvement d’orientation de classe était cliniquement mort. Le chemin à parcourir est encore long, mais les fondations ont été posées, nous pouvons maintenant commencer à construire à partir d’une base.

Ceux d’entre nous qui étaient à Damas en 1994 et qui se sont alignés sur le bon côté de l’histoire de la lutte des classes éprouvent aujourd’hui une satisfaction toute humaine à l’égard du niveau actuel de la FSM.

6- Lors du 14ème Congrès à New Delhi, vous êtes nommé Vice-président de la FSM et Secrétaire du Bureau européen. Quels sont les objectifs que vous vous fixez en tant que dirigeant?

Je reprends directement le fil de la fin de la réponse précédente pour vous montrer que la période entre 1994 et 2000 n’a pas été facile. La corrélation négative et les conséquences de la contre-révolution pesaient de plus en plus lourd partout. Des dizaines d’organisations syndicales se sont désaffiliées de la FSM et se sont empressées de s’incliner devant la Confédération Internationale des Syndicats Libres. En fait, beaucoup, craintifs, pusillanimes et inquiets pour leur emploi, ont signé plusieurs documents rejetant leur passé et leur histoire. Des figures tragiques de personnes sans principes ni valeurs. Jusqu’en 2000, les syndicats de tous les anciens pays socialistes d’Europe de l’Est, ainsi que de nombreux pays d’Afrique et d’Asie, s’étaient désaffiliés de la FSM.

Les négociations, c’est-à-dire le rôle d’intermédiaire pour la désaffiliation de ces organisations de la FSM, ainsi que les discussions pour leur affiliation à la CISL, ont été assumées par les cadres dirigeants de la CGT française, des CCOO espagnols et de la CGIL italienne. Ces dirigeants ont ainsi passé des « examens » de fidélité et de dévouement à leurs patrons. Ils sont devenus les serviteurs des monopoles et des transnationales. La direction de la CGT française des années 1993-1995, certaine de la dissolution prochaine de la FSM, a chargé les archives de l’organisation du siège de Prague dans deux gros camions et les a transportées à Paris. Plus tard, lorsque le siège de la FSM a déménagé en Grèce, des efforts ont été entrepris pour récupérer les archives, mais malheureusement en vain jusqu’à présent.

C’est donc dans ces circonstances que le 14e Congrès de la FSM a eu lieu à New Delhi, en Inde, du 23 au 28 mars 2000. Ce Congrès a réuni 421 délégués et observateurs de 65 pays. Le nombre réel de membres de cette période aurait dû être d’environ 30 millions de travailleurs. Le Congrès a été soutenu financièrement, surtout par les travailleurs indiens qui ont collecté les fonds nécessaires. Toute l’organisation du Congrès était basée sur le travail de l’AITUC et des autres organisations affiliées et amies dans ce pays.

D’autre part, un élément positif était que neuf ans s’étaient déjà écoulés depuis les renversements de la période 1989-1991 et, peu à peu, plusieurs dirigeants syndicaux ont vu plus clairement que la nouvelle situation générait de nombreux problèmes pour la classe ouvrière mondiale ; ils ont observé que la mondialisation capitaliste apportait une grande pauvreté à la plupart des gens et de grands profits à quelques-uns. Au cours de cette même période, il a été démontré une fois de plus que la CISL non seulement n’avait pas changé, mais qu’elle était devenue un partenaire encore plus fidèle des impérialistes. Elle a ouvertement soutenu la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie, elle a soutenu et diffusé la propagande en faveur du bombardement de Belgrade, tandis que les directions syndicales italiennes, CGIL en tête, ont applaudi le gouvernement italien qui a organisé les frappes aériennes de l’OTAN contre la Serbie à partir de la base aérienne d’Aviano. De plus, la CISL s’est ouvertement positionnée en faveur des impérialistes pendant la guerre des États-Unis contre l’Irak et l’Afghanistan. Il est devenu clair que dans les nouvelles circonstances, le rôle réactionnaire de cette organisation, son action et sa pratique ont aidé un nombre important de dirigeants syndicaux progressistes à se rendre compte de la vérité et à faire à nouveau confiance à la FSM.

Le 14e congrès de New Delhi a pris des décisions concernant tous les développements internationaux dans tous les domaines. Tous les camarades de l’Inde ont contribué et travaillé avec enthousiasme et efficacité. En outre, leur contribution a été significative pour l’orientation de la FSM vers des positions plus correctes, anti-impérialistes et anti-monopoles. De plus, en Inde, l’élection d’un nouveau Secrétaire Général a été à nouveau discutée. Les Indiens et les Cubains ont insisté pour qu’il soit remplacé. Finalement, c’est le Russe Alexander Zharikov qui a été réélu, et c’est à lui que revient le mérite d’avoir contribué à maintenir la FSM en vie, même avec peu de forces. Si elle avait été dissoute, sa reconstruction aurait été encore plus difficile. Alexander Zharikov était un cadre politique du Komsomol, avec une action significative dans le mouvement mondial des étudiants et de la jeunesse, il était cultivé et bien éduqué. Sa candidature au poste de dirigeant de la FSM a été présentée et proposée en 1990, principalement en raison de l’expérience qu’il avait acquise au niveau international dans le cadre de ses fonctions précédentes. Son élection au poste de Secrétaire Général en 1990 a coïncidé avec la période transcendantale des renversements. Par conséquent, lorsque le monde a été bouleversé, Alexander Zharikov n’avait aucune expérience du mouvement syndical et ouvrier et de ses organisations. Ainsi, la FSM, bien que disposant d’une force considérable à travers le monde, ne faisait qu’observer le cours des choses.

Maintenant, dans une analyse générale, nous pouvons dire que la période du 14ème Congrès coïncide avec le dévoilement de la « nouvelle ère » annoncée par les impérialistes après les renversements et la révélation de la « face brutale » du nouvel ordre des choses. Le Congrès a « poussé » la FSM vers des positions et des analyses plus correctes et l’a aidée à restaurer beaucoup de caractéristiques de classe qu’elle avait perdues. Ainsi, le Congrès de New Delhi a donné un nouveau baiser de vie à la FSM, mais est resté « réticent » quant aux changements dans lesquels il encouragerait davantage son action et approfondirait son intervention. Des objectifs ambitieux ont été fixés, mais au moment opportun pour l’organisation de notre contre-attaque dans de meilleures conditions, un temps précieux a été perdu pour initier un cours ascendant comme celui déclenché par le Congrès de La Havane de 2005.

7-A La Havane, vous avez été élu Secrétaire Général en 2005. Quelle était alors la situation de la FSM?

Notons que même après le Congrès de New Delhi, des  confusions et des illusions subsistaient au sein de la direction et des affiliés de la FSM. Certains se faisaient même des illusions sur la possibilité d’une « coopération » avec la CISL. Je dois mentionner qu’une rencontre entre une délégation officielle de la FSM et une délégation de six membres de la CISL (y compris son Secrétaire Général de l’époque, Bill Jordan) a eu lieu au siège de la CISL à Bruxelles en 2001, au cours de laquelle nous avons simplement convenu de… ne pas être d’accord. Avant cette réunion, les trois membres de la délégation de la FSM avaient des points de vue différents sur l’objectif et la tactique à adopter pendant la réunion. Mais l’objectif d’une… « action conjointe » s’est avéré très vite ridicule lorsque Bill Jordan a commencé à nous attaquer et à calomnier la FSM ; aussi, lorsque A. Zharikov leur a montré une photocopie du bilan économique de la CIA qui faisait apparaître des montants dont la CISL avait bénéficié, les jaunes…ont vraiment « jauni » et ont commencé à nous accuser d’être financés par le KGB. Ainsi, ceux qui se faisaient des illusions sur le rôle de la direction de la CISL ont été obligés de redescendre sur terre. Vous savez que j’ai même eu des conversations avec des cadres de la FSM qui voulaient savoir si la CISL inviterait la FSM à son prochain Congrès!

 

Réunion CISL-FSM, Bruxelles, Belgique, 2001

En même temps, dans la période qui a suivi le 14e Congrès de New Delhi, l’action de la FSM, surtout au niveau central, est restée très faible. Elle était timide, introvertie et repliée sur elle-même. En outre, d’autres organisations se sont désaffiliées de la FSM, comme celles du Kuwait, de la Libye, de l’Angola, etc.

Entre-temps, cependant, la situation au niveau international commence à s’éclaircir. Les partis communistes, en coordination et en coopération avec les mouvements syndicaux de classe, ont commencé à élaborer leur stratégie dans les nouvelles conditions. De nouvelles élaborations et analyses ont aidé le mouvement de classe à se relever. Dans ce contexte, des discussions ont commencé sur le rôle que la FSM devrait jouer, la nécessité de mettre à jour son programme et le changement de son groupe de direction.

Les conditions étaient donc déjà mûres pour procéder à la contre-attaque des travailleurs et à la réorganisation de la Fédération. Lors de la réunion du Conseil présidentiel de la FSM qui s’est tenue à Athènes du 31 octobre au 1er novembre 2004, la délégation cubaine a été la première à prendre ouvertement l’initiative des discussions. Cela a conduit à une réunion spéciale à Genève avec des dirigeants syndicaux de Cuba, de l’Inde, de la Grèce, de la Syrie, de Chypre et de la France. En outre, des réunions bilatérales ont été organisées à Damas entre la GFTU-Syrie et le PAME-Grèce. Toutes les organisations qui sont restées affiliées à la FSM, dans un esprit fraternel et de camaraderie, ont unanimement considéré que des changements à tous les niveaux étaient nécessaires. Les nouvelles conditions exigent également de nouvelles mesures. Il fallait agir et prendre des initiatives concrètes. C’est dans ce sens que s’est tenu, du 1er au 4 décembre 2005, le 15e Congrès de la FSM à La Havane, Cuba, avec la participation de 870 délégués de 87 pays du monde. Pendant le Congrès, des discussions sérieuses ont eu lieu dans le cadre de réunions régionales séparées de délégués d’Asie et du Pacifique, d’Europe, d’Amérique latine, d’Afrique et du monde arabe. Il est bien connu que le Congrès s’est terminé par l’approbation du nouveau programme et le changement de direction. Ceux d’entre nous qui étaient présents se souviennent que lors de la clôture du 15e Congrès, il régnait un climat d’enthousiasme; l’espoir d’une nouvelle orientation pour la FSM s’était éveillé.

Je crois que de nombreuses conclusions sur l’esprit de cette époque et les priorités que nous avons fixées en tant que mouvement syndical de classe peuvent être trouvées dans le premier document officiel de la nouvelle étape de la FSM sous le titre: « Les 10 nouvelles priorités de la FSM ».

En ce sens, les premières décisions prises par le nouveau Secrétariat sont révélatrices de la nouvelle orientation de la FSM: le siège de la FSM a été transféré de Prague à Athènes. La raison principale de ce déménagement était qu’en République tchèque, l’organisation était persécutée par l’État et ses services et que, malheureusement, il n’y avait pas d’organisation syndicale dans le pays qui pouvait soutenir la FSM d’une manière syndicale et financière dans sa nouvelle entreprise. Par conséquent, sur la base d’une décision unanime des organes compétents, le nouveau siège de la FSM a été préparé grâce au travail bénévole des travailleurs grecs et au soutien financier des fédérations affiliées au PAME. Le 1er janvier 2006, les Bureaux Centraux ont commencé à fonctionner à Athènes avec une nouvelle équipe et de nouvelles finances. Une nouvelle ère avait commencé.

 

Deuxième partie : « Dans le monde moderne, avec les grands changements et les avancées technologiques, il existe toujours deux classes sociales fondamentales : les exploiteurs et les travailleurs. » (publié le 25 juillet 2022)

 


Dans cette deuxième partie de l’entretien avec George Mavrikos, nous passons en revue son travail au sein de la Fédération syndicale mondiale entre le congrès de La Havane en 2005, où il a été élu secrétaire général, et le 18e congrès de Rome.

III. De La Havane à Rome

8-Quelles ont été les réussites de la FSM depuis La Havane ?

Eh bien, le « Grand saut », comme l’a appelé le camarade Quim Boix! Nous avons essayé de donner une réponse complète à cette question dans la publication du même nom à l’occasion du 18ème Congrès de la FSM. Nous y avons présenté sous forme graphique, dans la mesure du possible, un panorama du parcours suivi par la FSM au cours des 17 dernières années, avec les progrès – les réussites comme vous dites – et la croissance de cette grande famille de classe de la classe ouvrière mondiale.

Sans vouloir répéter les chiffres de manière exhaustive, il convient de mentionner que de 48 millions de membres, travailleurs de base, que comptait la FSM en 2005, la FSM compte 110 millions de membres en 2022, soit une augmentation de 129%. En même temps, on peut dire que cette augmentation n’est pas seulement quantitative, mais qu’elle comporte aussi des éléments qualitatifs importants, puisque de grandes organisations d’une grande importance sociale et d’une portée mondiale ont rejoint ou se sont affiliées à la FSM pour la première fois. L’exemple du COSATU d’Afrique du Sud (dont l’existence a toujours été inextricablement liée à la FSM) qui est revenu dans notre famille, la puissante CITU d’Inde, les dizaines de fédérations et de syndicats de base de la CGT France, les millions de travailleurs agricoles de la FAC au Mexique témoignent de ce développement qualitatif. Simultanément, les organisations syndicales internationales de la FSM, qui étaient 4 avant le Congrès de La Havane, sont 11 en 2022 et, en fait, sont présentes dans les secteurs stratégiques de l’économie où la classe ouvrière contemporaine travaille et peine (métallurgie, énergie, transport, banques, hôtellerie-tourisme, retraités et pensionnés, textile, habillement et cuir, etc.) En d’autres termes, il s’agit d’une augmentation de 63,6 %. Il en va de même pour les bureaux régionaux, dont le nombre est passé de 5 en 2005 à 7 en 2022. Parallèlement, alors que la FSM n’avait pas de bureaux sous-régionaux avant le 15e Congrès, elle en compte aujourd’hui 6. Dans le même temps, 4 Comités internationaux ont été créés (Femmes travailleuses, Jeunes travailleurs, Réfugiés et migrants, Consultation juridique) qui ont développé une riche action. En outre, les journées d’action internationale de la FSM ont été lancées et ont eu un grand impact international, mobilisant des millions de travailleurs dans le monde entier autour de revendications communes. L’intervention de la FSM dans les organisations internationales où elle a un statut consultatif permanent et général (ONU, UNESCO, FAO et OIT) a été réactivée sur une base différente et avec un autre point de vue ; des grèves internationales, des campagnes de solidarité avec les peuples qui souffrent de l’impérialisme ont été organisées; des livres ont été publiés et diverses publications syndicales idéologico-politiques ont été diffusées; des concours internationaux d’affiches et de livres ont été organisés; des missions internationales ont eu lieu dans plus de 100 pays du monde; des anniversaires historiques de la classe ouvrière ont été commémorés et tant d’autres initiatives ont été entreprises auxquelles on peut se référer. … Je pense que chacun de ces aspects de l’action pourrait même faire l’objet d’une question et d’une analyse distinctes.

En général, on peut dire que la FSM est redevenue un adversaire que la bourgeoisie et l’impérialisme ont dû prendre en compte. Une fois de plus, la classe ouvrière a « montré ses griffes » contre l’ennemi de classe au niveau mondial et tous ensemble, dans la famille de classe de la FSM, nous avons montré que l’histoire ne se termine pas comme certains « scientifiques » bourgeois se sont empressés de le prédire. Et honnêtement, pour moi, le principal critère de développement et de croissance de la FSM était – outre la preuve indiscutable des chiffres – les attaques que la FSM a subies au cours des dernières années: à la fois par des ennemis et par des « tirs amis ».

Après tout, c’est une règle classique de la lutte des classes que « être attaqué par l’ennemi n’est pas une mauvaise chose », mais une confirmation que la voie que vous avez choisie est la bonne; une voie qui inquiète et agace les ennemis du progrès social. Et alors qu’avant 2005, presque personne ne se souciait de la FSM, après La Havane, nous avons entendu toutes sortes d’accusations: d’abord que la FSM est un est un « grand patient » sous assistance respiratoire qui résiste à être débranché. ensuite que nous cultivons un « stalinisme hydroponique », que nous sommes des vestiges du passé qui ne font que brandir des drapeaux et crier des slogans, que nous sommes les séparatistes du mouvement syndical mondial, que nous sommes anti-démocratiques, que nous soutenons des régimes dictatoriaux, que nous soutenons des terroristes…

 

 

Visite en Palestine, 2003

Nos dirigeants ont été emprisonnés et assassinés par les réactionnaires et l’État bourgeois en Colombie, au Mexique, au Guatemala, en Indonésie, au Paraguay, au Pérou, en Israël et dans de nombreux autres pays. Des militants de la FSM ont été licenciés dans le monde entier ou traduits en justice pour leurs actions internationalistes. Même des membres de l’équipe des bureaux centraux de la FSM ont été persécutés ou menacés lors de missions syndicales en Colombie, en Israël, au Panama et dans d’autres pays…

Et tout cela parce que nous n’avons pas plié devant l’impérialisme, parce que nous ne sommes pas entrés dans les « ministères » des instruments impérialistes de Bruxelles et des États-Unis, parce que nous ne sommes pas devenus une « ONG de syndicats » comme l’est aujourd’hui la CSI. Nous nous contentions de faire quelque chose de très simple et tout serait pour nous « un lit de roses »: affirmer que la lutte des classes est terminée et que le capitalisme est éternel. Mais si nous disions cela, nous ne serions pas ce que nous sommes. Par conséquent, tout ce parcours nous a inspiré de la fierté et une supériorité morale et politique à l’égard de nos adversaires.

9- Quels ont été vos plus grands ennemis pendant cette période ?

Comme dit précédemment, l’ennemi principal de la FSM est l’ennemi principal de la classe ouvrière mondiale elle-même: la bourgeoisie et ses instruments. En d’autres termes, la définition de notre principal ennemi découle de l’analyse marxiste-léniniste du monde et de la contradiction fondamentale qui existe à notre époque, qui est l’époque de l’impérialisme, de l’existence parasitaire du système capitaliste mondial. La contradiction fondamentale de notre époque demeure donc entre le capital et le travail, entre ceux qui possèdent tout et ceux qui n’ont rien d’autre que leur force de travail. C’est pourquoi, pour la classe ouvrière, « L’ennemi principal est dans notre pays », comme l’a dit Karl Liebknecht en 1915, en pleine Première Guerre mondiale.

Ainsi, pendant toutes ces années, la bourgeoisie, avec ses mécanismes, ses puissants moyens, les énormes sommes d’argent qu’elle a dépensées pour la propagande antisyndicale et l’achat de consciences, a entravé, menacé, terrorisé et combattu la FSM par tous les moyens possibles. Parfois, il a même eu recours à des attaques directes, comme celle orchestrée par l’État bourgeois en Italie peu avant l’organisation du 18e Congrès Syndical Mondial, avec la descente des carabiniers de manière préméditée et avec des accusations fabriquées de toutes pièces dans les bureaux de l’USB, qui était également l’organisation hôte du Congrès de Rome. Permettez-moi d’ajouter que ces tactiques sont habituelles pour les États bourgeois lorsqu’ils choisissent de persécuter la FSM et sa ligne de classe. Je vous rappelle que l’État français avait organisé une descente similaire en 1950 dans les Bureaux de la FSM à Paris, tout comme l’État autrichien l’a fait en 1956 dans les Bureaux de la FSM à Vienne lors d’une descente nocturne, pillant les archives et les documents et confisquant des sommes d’argent.

L’interdiction d’entrer aux États-Unis en ma qualité de Secrétaire Général de la FSM en 2018 n’était-elle pas une attaque directe contre la FSM? D’autant plus que les raisons de ma visite étaient purement de nature politique et syndicale et que mon but était de participer à un événement de l’ONU? Ici encore, je dois ajouter que l’État bourgeois a une continuité à la fois dans ses pratiques et dans sa liste d' »ennemis ». Il est intéressant de noter que l’État des États-Unis avait émis une interdiction similaire à l’encontre du Président italien de la FSM, Giuseppe Di Vittorio – connu dans son pays pour son engagement dans la guerre civile espagnole – en 1952, lui interdisant d’entrer aux États-Unis pour prendre la parole à l’ONU. Par conséquent, les bourgeois savent très bien que nous sommes des ennemis. L’essentiel est que nous ne l’oubliions pas.

Le deuxième ennemi était et reste les organisations impérialistes, les unions et alliances transnationales impérialistes qui ont causé tant de souffrances à l’humanité et aux peuples du monde entier. Serait-il possible que nous ne soyons pas des ennemis acharnés de l’impérialisme et de ses instruments? Des fleuves de sang nous séparent, des millions de combattants morts les armes à la main, des jungles du Vietnam aux montagnes de Grèce en passant par les « maniguas » de Colombie. La lutte anti-impérialiste est gravée sur la peau de la FSM comme une « tache de naissance ».

 

Avec Raúl Castro le 1er mai 2016, La Havane, Cuba.

Je vous rappelle la quatrième résolution du Congrès constitutif de la FSM en 1945 concernant sa position à l’égard de l’impérialisme et du colonialisme, qui a fait l’objet d’une grande controverse: « Ce serait une victoire incomplète si les peuples des colonies et des territoires de tous les pays étaient privés des droits à l’autodétermination et à l’indépendance nationale ». En bref, notre mouvement a toujours été du bon côté de l’histoire, du côté des vrais producteurs de richesses, du côté des prolétaires. Regardez la position de la FSM contre l’impérialisme partout: en Grèce, à Chypre, à Cuba, au Nicaragua, au Venezuela, en Angola, au Mozambique, en Afrique du Sud, au Vietnam, en Corée, en Afghanistan, en Libye, au Yémen, en Syrie, au Koweït, en Irak, au Liban, en Palestine et dans tant d’autres pays. Là où les impérialistes ont attaqué les peuples, créé des vagues de déracinés, d’immigrants et de réfugiés pour tracer de nouvelles frontières et piller les ressources, la FSM a défendu ces peuples avec une solidarité internationaliste dans la pratique, avec ses affiliés et ses cadres dans tous les pays et continents en première ligne de la lutte.

Le troisième ennemi, selon moi, se trouve dans les collaborateurs de la bourgeoisie, dans ses laquais, dans ses représentants au sein du mouvement ouvrier : l’aristocratie ouvrière et les syndicalistes bureaucrates. Ces individus, dont la plupart n’ont jamais travaillé de leur vie, se présentent tantôt comme des progressistes, tantôt comme des écologistes, tantôt comme des antisexistes, tantôt comme des humanistes, ou encore font semblant de montrer de l’empathie pour la souffrance des travailleurs. Ce sont des syndicalistes – « éprouvettes », « fabriqués » dans les écoles de divers ministères et fondations de collaboration de classe. L’expérience de votre pays avec les directions syndicales jaunes des CCOO et de l’UGT est une représentation exacte de ce que je décris. Au niveau international, cette tendance s’exprime à travers la CSI: avec de gros salaires garantis, ces syndicalistes n’appartiennent pas à la classe ouvrière et leur principale mission est de transformer les syndicats d’organisations ouvrières de masse en mécanismes et en serviteurs du capital; ils cherchent à restreindre la classe ouvrière, à la soumettre et à désorienter ses luttes, en propageant le « maquillage » du système capitaliste et en rejetant le rôle et la mission de la classe ouvrière. Pour toutes ces raisons, ils éprouvent une profonde haine à l’égard du mouvement syndical de classe et des syndicalistes militants. IlIls élaborent de fausses théories pour paraître importants et utiles. Ils établissent des liens avec les médias, inventent des nouvelles et profitent des avancées digitales de la science. Au niveau idéologique, ils sont, en d’autres termes, les porteurs de l’idéologie bourgeoise au sein du mouvement ouvrier, la « cinquième colonne » contre le mouvement ouvrier de classe.

Enfin, je dois vous avouer qu’il y a un autre ennemi, plus dangereux et souvent invisible: ce sont nos propres erreurs, nos propres négligences et nos propres fautes. Sans les affronter, sans les étudier, le progrès de notre mouvement est impossible. Leur existence est inévitable, mais leur répétition ne l’est pas. Après tout, considérons qu’une grande partie de l’expérience du mouvement ouvrier et syndical est le produit des erreurs et des leçons que nous en tirons.

Permettez-moi de vous donner un exemple: le mouvement syndical de classe a-t-il le devoir ou non de toujours juger les autorités du point de vue des intérêts de la classe ouvrière? L’ABC du mouvement syndical ne devrait-il pas être de défendre et d’élever le niveau de vie de la classe ouvrière, quel que soit le système économique de chaque pays ? La réalisation de cet objectif ne passe-t-elle pas toujours par la critique du point de vue des travailleurs? Quelles critiques les syndicats des pays socialistes ont-ils formulées à l’égard des erreurs qu’ils voyaient commettre devant eux dans la construction socialiste? Par exemple, lors du 11e Congrès de la FSM à Berlin-Est en 1986, des syndicats de 75 pays ont participé. Y avait-il des délégués qui critiquaient la Perestroïka et la restauration capitaliste imminente?

Il y avait là des dirigeants syndicaux jouant un rôle important, qui ont vu et compris – bien sûr avec les limites de l’époque – tout ce qui n’allait pas. Ainsi, une grande occasion a été gâchée pour la classe ouvrière mondiale d’apporter une aide importante à l’Union soviétique, d’ouvrir un front de critique et de révéler les véritables objectifs de la Perestroïka, contre la restauration capitaliste méthodiquement préparée. En résumé, la connaissance du mouvement ouvrier a un coût. L’essentiel est d’en tirer parti, de l’évaluer, de toujours savoir que nous l’obtenons au prix de difficultés et d’épreuves.

10- Qu’est-ce qui, selon vous, a été la clé de la grande croissance de la FSM?

Je crois que la grande croissance de la FSM, le grand saut dont nous avons parlé précédemment, ne se trouve pas dans un seul facteur, mais dans une combinaison d’objectifs tactiques et stratégiques, des aspects spécifiques que j’ai également partagés lors du récent Congrès ; en d’autres termes, elle se trouve dans des clés qualitatives et quantitatives.

Tout d’abord, je pense qu’il a été atteint grâce à la conviction, la conviction profonde que dans le monde moderne, la classe ouvrière a besoin d’une arme qui lui soit propre. Elle a besoin de son propre outil pour élaborer sa stratégie et sa tactique ; une stratégie et une tactique pour elle-même en tant que classe sociale avec une mission historique particulière.  Contre le concept réformiste et révisionniste qui prétend qu’il n’y a soi-disant pas de classe ouvrière aujourd’hui et identifie la classe ouvrière aux travailleurs manuels des siècles précédents, nous avons répondu et répondons scientifiquement que dans le monde moderne, avec les grands changements et le progrès technologique, deux classes sociales fondamentales subsistent : Les capitalistes, les exploiteurs, d’une part, et les ouvriers et employés, d’autre part. Bien entendu, la classe ouvrière évolue, se développe, acquiert plus de connaissances, est plus éduquée qu’auparavant, a accumulé plus de connaissances et d’expérience et ses besoins fondamentaux sont en constante augmentation. Tous ces changements existent et nous en tenons compte. Mais malgré tous ces changements, le critère de base demeure : L’exploitation. La production de la plus-value et la sueur volée qui va dans les poches de la bourgeoisie.  Nous allons donc de l’avant avec la conviction que dans le monde moderne, il existe une injustice sociale, une exploitation sociale encore plus cruelle et nous continuons à croire que la classe ouvrière actuelle, avec ses grandes connaissances et son expérience, est plus proche et qu’elle tient entre ses mains l’interrupteur du processus de production. Cette pensée et cette conscience ont été le « phare », la base qui nous a guidés dans le développement de nos tactiques au cours de ces 17 années.

 

14e Congrès de la CITU, Inde, 2013

Le deuxième facteur est lié à l’organisation pratique, à l’articulation interne de nos forces et à l’esprit combatif qui a caractérisé nos militants – je parle de la collectivité et de la position militante commune de la grande majorité de nos membres et de nos cadres. Ce que nous avons réussi n’est pas le travail d’une seule personne, mais d’un effort collectif, d’une volonté politique et d’une volonté d’action. C’est surtout le fruit d’un effort collectif, d’une recherche commune et d’une position commune de chacun d’entre nous. C’est ensemble que nous avons construit cet édifice. Nous ne nions pas le rôle de la personnalité. Nous savons que dans l’histoire sociale, la personnalité influence certainement les développements. Mais ce sont les masses qui déterminent les développements, les progrès et les avancées ; ce sont les groupes collectifs qui le font et non les rois, les cardinaux ou les princes.

Le troisième facteur concernait une règle importante que nous avons strictement respectée dans les luttes que nous avons menées: Nous avons prêté attention à la base et nous avons essayé de ne pas perdre le contact avec la base; avec nos syndicats, avec les travailleurs, les chômeurs, les immigrants, les réfugiés, les sans-abri et les exclus. Nous avons renforcé la démocratie interne dans notre fonctionnement.  J’ai personnellement visité 87 pays au cours de ces 20 années, et certains d’entre eux à de très nombreuses reprises. Les membres du Secrétariat et du Conseil Présidentiel ont fait de même. Un nombre beaucoup plus important de cadres de nos UIS et de nos Bureaux Régionaux ont voyagé et étaient en contact étroit avec la base. Grâce à tous ces contacts, nous avons pu puiser de force par la base et encourager les luttes. Nous essayions de prêter l’oreille et les yeux aux luttes et aux demandes de la base. C’est ainsi que l’on gagne la confiance de la base et que celle-ci devient plus militante, plus agressive parce qu’elle se rend compte qu’elle n’est pas seule dans ses luttes. Nous avons aimé et soutenu la base de la FSM et la base nous rend son amour et son appréciation. Après tout, c’était la force courageuse de la FSM, ses héros de la vie quotidienne sur leur lieu de travail et dans leur pays.

La quatrième clé de la revitalisation de la FSM, je crois, a été l’utilisation de la critique, de l’autocritique et de l’émulation, qui sont la loi de notre progrès et de notre amélioration aux niveaux collectif et individuel. En tant que cadres du mouvement syndical de classe et international, nous devons analyser objectivement la situation à tout moment. Nous devons avoir une connaissance objective de la réalité dans notre secteur, dans notre région, dans notre syndicat et dans le monde, en tant que dirigeants de la FSM. Pour atteindre ce niveau, nous avons besoin d’une conscience de soi, d’un examen critique et autocritique de nos décisions et de nos actions. Nous avons le devoir de favoriser l’émulation collective, l’ambition militante d’amélioration et le développement global de la personnalité de nos cadres. Et surtout, notre loi fondamentale a été et sera l’obligation d’apprendre de nos erreurs, d’étudier nos faiblesses et nos fautes, de les analyser. Le militant intelligent apprend de ses erreurs. Le frivole, jamais !

Le cinquième facteur est certainement l’étude de l’histoire de notre classe et plus particulièrement de la FSM elle-même. Au cours de ces deux décennies, nous nous sommes appuyés sur notre riche histoire. Avec ses points positifs et négatifs, avec ses pas en avant et en arrière, avec ses compromis dignes et ses concessions inacceptables, avec ses grands succès et ses erreurs peu nombreuses mais existantes. Pour nous aujourd’hui, l’expérience historique, tant positive que négative, est un atout et une arme pour le présent et l’avenir. Comme je l’ai déjà mentionné, l’histoire est une fenêtre ouverte sur le passé et sur l’avenir ; pour construire le lendemain, il faut utiliser l’expérience d’hier.

L’utilité de l’histoire du mouvement syndical au niveau sectoriel, local, national et international est grande aujourd’hui. Et en même temps, se défendre et contre-attaquer contre la sale tentative de réécrire l’histoire est une tâche essentielle. Nous avons défendu la vérité historique. C’est ce que nous avons fait en organisant des cours spéciaux sur l’histoire du mouvement syndical, des séminaires spéciaux, des concours de livres et d’affiches, des publications, des articles et des discours. Comme mentionné lors du 18e Congrès, en 17 ans, plus de trois mille de nos cadres, principalement des jeunes, ont participé à des séminaires pertinents.

Le sixième facteur qui a permis à la FSM de se développer est la bataille elle-même, l’action elle-même. Nous avons assumé la FSM en état de paralysie, de sorte que la tâche immédiate était l’action. C’est pourquoi nous avons lancé le slogan « Action – Action – Action » lors du 15e Congrès Syndical Mondial à La Havane, à Cuba. Nous ne pouvions pas perdre notre temps dans l’introversion, l’inaction et les discussions interminables. Nous avons souligné que nous allions redonner vie à la FSM « dans l’action ». C’est par l’action que nous prouverons si et ce que nous pouvons atteindre. Et nous avons développé toute cette riche action que vous connaissez tous, qui est décrite dans les textes et les principaux documents de notre Congrès et qui est disponible dans notre manuel « Statistiques 2005 – 2022 », dans nos vidéos et nos publications. La leçon et la conclusion sont donc l’action, l’action avec nos objectifs et nos priorités. Au cours des dernières années, nous avons organisé une éducation syndicale et de nombreux stages de formation syndicale.

Le septième « pilier » n’était autre que la politique économique qui caractérise un syndicat de classe, une organisation syndicale par et pour la classe ouvrière: Nous ne dépendions financièrement que de nos affiliés, de la base, des travailleurs ordinaires. Nous avons reçu la FSM en décembre 2005 avec une dette financière de 200 000 dollars. À Rome, nous avons remis la FSM non seulement sans aucune dette, mais aussi avec un solde considérable. La FSM ne doit pas un seul centime ! Les acteurs clés de cette réussite ont été toutes les organisations qui, pendant toutes ces années, ont soutenu la FSM malgré le fait qu’elles étaient « pauvres ». Leur soutien a donné de la force à la FSM et lui a permis de déployer son action de classe. C’est leur soutien qui a permis que toutes les dépenses du 18e Congrès soient couvertes par les cotisations et le soutien financier provenant exclusivement des affiliés de la FSM. La souveraineté financière, fonctionnant uniquement sur la base des cotisations des travailleurs, est à la fois un critère du caractère de classe d’une organisation et une garantie de son engagement envers la classe ouvrière. Après tout, le critère « montre-moi tes sponsors et je te dirai qui tu es » est généralement correct…

11- Y a-t-il eu des erreurs pendant votre période de direction ?

Il est vrai que pendant les années au cours desquelles j’ai eu la responsabilité principale de l’élaboration des options stratégiques et tactiques de la FSM, nous avons commis des erreurs. Dans mon village, on dit que « la ménagère qui lave la vaisselle cassera aussi la vaisselle ». Un bon dirigeant doit apprendre de ses erreurs et ne pas les répéter.

Les risques d’erreurs existeront toujours et c’est pourquoi la direction des organisations syndicales de classe doit être vigilante à tout moment. Les erreurs sont de nature pratique ou idéologique. Et si les erreurs pratiques sont facilement corrigées, les erreurs idéologiques sont plus substantielles, plus complexes et souvent critiques.

L’histoire longue et vivante du mouvement syndical international a mis en évidence des erreurs idéologiques de droite et de gauche. L’outil permettant de limiter ces erreurs est une connaissance théorique approfondie de la part des dirigeants.

Au cours de mes 50 années d’activité syndicale et politique, j’ai rencontré des opportunistes de droite, des réformistes de droite, qui condamnent tout et le qualifient de sectarisme, et d’autre part, des opportunistes de gauche, des sectaires qui condamnent et qualifient les autres d’opportunistes et de réformistes. Cette façon d’interpréter les situations est appelée « volontarisme » dans la théorie marxiste. Ce qui, en langage simple, signifie qu’on juge tout en fonction de ce qu’ »on veut » et non de la réalité objective.

La FSM et tous les syndicats militants doivent tracer leur ligne en analysant et en synthétisant la réalité objective, l’image réelle.

Au siècle dernier, le mouvement syndical a souvent basculé dans des erreurs sectaires. Cela s’explique par l’excitation, l’exaltation, l’abnégation qui dominaient la conscience des travailleurs. Ils sont allés jusqu’à lancer le slogan « maintenant ou jamais ».

Après les changements historiques d’importance mondiale de la période 1989-1991 qui ont bouleversé le rapport international, avec le recul des luttes, les difficultés du mouvement syndical, l’émergence d’ONG multiformes, l’agressivité de la bourgeoisie internationale et de ses gouvernements, les dangers des erreurs de droite, c’est-à-dire des déviations opportunistes et réformistes, sont plus grands. Profitant de l’aristocratie ouvrière, la bourgeoisie internationale cultive la frustration et le défaitisme dans une partie de la classe ouvrière mondiale, ce qui pousse à l’opportunisme. Il ne suffit donc pas de dire que nous sommes protégés de l’opportunisme de droite et de gauche et que nous avons ainsi fait notre devoir. NON. Nous devons analyser la réalité objective. Par exemple, si la FSM essaie de changer, d’altérer ou de déguiser ses caractéristiques anti-système et de devenir un partenaire du système, il est certain qu’elle perdra. Le caractère de la FSM a été forgé depuis 1945 jusqu’à aujourd’hui comme un bataillon insurgé; un bataillon qui va souvent à contre-courant, qui entre en conflit, qui a une stratégie subversive et une tactique radicale; un bataillon intrépide et courageux face aux ennemis de la classe ouvrière et toujours du même côté. Après tout, il y a au sein du mouvement syndical, à tous ses niveaux, des personnes systémiques originaux en qui le capitalisme a confiance et qu’il soutient; ce sont tous des chiens qui aboient, mais la caravane passe.

 

Troisième partie : « Le « spectre » de la classe ouvrière hante à nouveau le monde entier et fait voir à la bourgeoisie, aujourd’hui encore, les luttes ouvrières dans ses cauchemars. » (publié le 1er août 2022)

 

La troisième (et dernière) partie de l’entretien porte sur les piliers idéologiques fondamentaux de la FSM ainsi que sur le retrait de Mavrikos de l’arrière-garde du mouvement ouvrier.

IV. Rome, point final

12-Le 18ème Congrès de la FSM s’est achevé et vous laissez la responsabilité du Secrétariat Général. Les problèmes des travailleurs sont-ils toujours les mêmes ou ont-ils changé?

Les mêmes causes qui ont dicté les positions de la FSM au cours des années sur l’amélioration du niveau de vie de la classe ouvrière continuent d’exister. L’exploitation de l’homme par l’homme est là; le cœur de l’exploitation capitaliste, c’est-à-dire l’extraction de la plus-value de la classe ouvrière, est là; la sueur volée de nos frères et sœurs de classe finit toujours dans les poches de la bourgeoisie; les guerres et les interventions impérialistes sont toujours là. En bref, les racines de tous les problèmes fondamentaux des travailleurs du monde restent intactes.

Je pourrais même dire que, jusqu’à un certain degré, les conditions auxquelles la classe ouvrière mondiale vend sa force de travail se sont détériorées, non seulement dans les pays dits « en développement », mais aussi dans les grands centres capitalistes où la classe ouvrière avait traditionnellement un niveau de vie relativement meilleur. Cela s’est produit soit à la suite de luttes de classe importantes et massives, de revendications continues, soit à la suite de « concessions » de la classe bourgeoise de ces pays à leurs travailleurs face au système socialiste, afin de protéger leur propre pouvoir. Depuis 1991, on assiste à un « démantèlement » systématique -comme je l’ai déjà dit- des grandes conquêtes de la classe ouvrière, qui s’explique par le déclin du courant de classe du mouvement syndical, le recul des luttes, la prédominance du réformisme et des illusions dans une grande partie de la classe ouvrière.

 

Avec Evo Morales Ayma à Cochabamba, Bolivie, 2014

Par conséquent, les problèmes auxquels la classe ouvrière est confrontée dans cette phase de décomposition finale du système capitaliste sont encore plus complexes, et bien que le cœur de ces problèmes reste inchangé, leur forme peut changer. Je pense qu’un exemple typique de ceci est la discussion sur la soi-disant quatrième révolution industrielle, qui est en fait un point central d’analyse dans de nombreuses discussions sur l’avenir du travail et d’autres. On parle d’automatisation, de désuétude des forces productives, de remplacement total du facteur humain par des machines, etc.

Il est bien connu que les forces productives et le potentiel productif qui en découle sont le résultat d’un processus sans fin dans lequel les moyens de production et le travail humain évoluent progressivement, en fonction de l’utilisation et de l’amélioration des connaissances, du savoir-faire, de la science et de la technologie de l’humanité. Même sous le capitalisme, les forces productives ne cessent d’évoluer. Et les connaissances et le savoir-faire humains, ainsi que les moyens de production les plus avancés et les plus innovants (par exemple, l’intelligence artificielle dont on parle si souvent) sont tous des processus sociaux en constante évolution. Les « nouvelles » réflexions sur la relation entre la classe ouvrière et la technologie devraient mettre en lumière l’essence du problème, à savoir la contradiction entre le caractère social de la connaissance, des moyens et des techniques de production, d’une part, et la propriété individuelle des moyens de production, d’autre part.

En d’autres termes, les produits résultant du processus susmentionné sont entre les mains d’une petite minorité de la société. Dans le même temps, la classe ouvrière a la possibilité de travailler moins, d’être mieux informée et de participer davantage à la vie politique et sociale – de vivre mieux, autrement dit – mais elle voit ses conditions de vie se détériorer. Par conséquent, lorsque on parle des « nouveaux problèmes » de la classe ouvrière, on oublie peut-être que des problèmes similaires ont troublé le mouvement ouvrier à d’autres périodes de l’histoire. Vous vous souvenez certainement des Luddites, ce mouvement qui, en Angleterre, pendant la révolution industrielle de 1810-1812, brisait les machines et les jetait dans la rue parce qu’ils pensaient que c’était de leur faute, et non de celle de leurs employeurs, qu’ils étaient victimes de la pauvreté. C’est donc un grand pari pour la classe ouvrière moderne de ne pas tomber dans les erreurs du passé, de ne pas tomber dans le néo-luddisme.

La même analyse peut éclairer d’autres phénomènes nouveaux qui aggravent la situation difficile de la classe ouvrière aujourd’hui, comme le télétravail qui s’est généralisé dans la période de la pandémie. Il est clair que les nouvelles technologies ont été utilisées une fois de plus pour pressurer encore plus la classe ouvrière, pour une plus grande extraction de la plus-value. D’un autre côté, nous ne devons pas sous-estimer les faits; les syndicats de classe ont le devoir d’analyser la réalité avec nos outils révolutionnaires, de répondre scientifiquement, sur la base des principes de notre vision du monde, aux nouveaux phénomènes que la vie ne cessera jamais de faire naître; en étant toujours clair que seule l’abolition de la propriété capitaliste, « l’expropriation des expropriateurs », mettra fin une fois pour toutes à la barbarie capitaliste qui est à l’origine de ces problèmes.

13-La FSM se dit anti-impérialiste. Comment l’impérialisme influence-t-il le monde du travail?

L’anti-impérialisme, la position anti-impérialiste du mouvement de classe fait partie de son ADN. Il ne s’agit pas d’une simple hypothèse théorique, ni d’une « bonne volonté évangélique ». Elle découle d’une vision et d’une analyse particulières du monde et, en même temps, elle engage les forces de classe à adopter une attitude et une action particulières sur une série de questions. On peut dire que la lutte anti-impérialiste est un critère permettant de distinguer les forces de classe cohérentes des forces réformistes. La position de classe cohérente reconnaît que les guerres impérialistes sont la continuation de la politique impérialiste par des moyens militaires, c’est-à-dire que c’est l’autre face de la politique du capital qui s’attaque aux acquis des travailleurs. En fait, je crois que l’expérience de la Première et de la Seconde Guerre mondiale est riche et utile. La FSM elle-même, comme nous l’avons dit précédemment, est née comme le fruit de l’action anti-impérialiste des travailleurs après la Grande Victoire Antifasciste des Peuples en 1945.

En effet, aujourd’hui, alors que l’agression impérialiste et les rivalités entre les puissants blocs impérialistes pour le contrôle et l’exploitation des marchés, des ressources naturelles et des voies d’énergie sont encore plus importantes, la brutalité impérialiste génère davantage d’effets négatifs sur les travailleurs: davantage de politiques anti-ouvrières et anti-populaires, la faim, la crise alimentaire, la pauvreté, la traite moderne des esclaves. Tous ces facteurs n’obligent-ils pas au moins 71 millions de personnes dans le monde – selon les données de l’ONU – à quitter leur foyer? Parmi elles, on compte quelque 26 millions de réfugiés et, chaque minute, on estime que 20 personnes quittent tout pour échapper à la guerre, à la persécution et à la terreur.

Examinons concrètement les souffrances que les rivalités impérialistes ont causées aux peuples de divers pays: les sanctions imposées par un camp impérialiste à l’autre, quelles conséquences ont-elles eu pour les peuples de Russie, du Venezuela, d’Iran, de Biélorussie, de la République populaire démocratique de Corée, etc. En particulier, chaque guerre qui est en cours, chaque intervention qui est en cours, provoquée par les intérêts impérialistes, quelles situations ont-elles générées pour les peuples et les travailleurs de ces pays? En Libye, qui a été entièrement ravagée par l’intervention de l’OTAN en 2011, au Yémen avec la sale guerre qui dure depuis plus de 7 ans, en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Yougoslavie? Une grande partie de leur population, des civils, a péri dans le conflit tandis que des millions ont été contraints de quitter leur patrie.

À Madrid, au Mémorial des Brigades internationales, 2018

Les impérialistes redessinent les frontières avec le sang des peuples pour leurs propres intérêts géopolitiques; ils écrasent les pays dans lesquels ils trouveront un champ d’exploitation rentable pour leurs monopoles quand viendra le temps de la « reconstruction »; en même temps, ils génèrent des armées entières de personnes désespérées, de réfugiés et d’immigrants qui serviront de réserves bon marché pour la production capitaliste. Depuis ses premiers pas, le capitalisme exploite les déracinés comme une main d’œuvre bon marché dans des conditions de travail misérables et dangereuses, en les payant des clopinettes, lorsqu’il veut augmenter sa production.

Mais l’avenir que les impérialistes préparent aux peuples est loin d’être en rose: la stratégie OTAN 2030, la « Politique étrangère et de sécurité commune de l’UE », la « Boussole stratégique pour renforcer la sécurité et la défense de l’UE » et la stratégie de l’UE « Global Gateway », les plans de guerre et la focalisation des intérêts impérialistes sur la vaste région indo-pacifique, le rôle du QUAD (États-Unis-Japon-Australie-Inde) et d’AUKUS (Australie, Royaume-Uni et UE) sont des plans qui devraient préoccuper les travailleurs du monde entier. Dans le même temps, les « points chauds » se multiplient dans un certain nombre de pays, tandis que la course aux armements bat tous les records, avec 2.100 milliards de dollars dépensés en 2021!

C’est précisément pour cette raison que, face à une réalité aussi complexe, la compréhension correcte de l’impérialisme revêt une importance énorme pour le travail et l’action du mouvement syndical de classe lui-même. Car si nous ne comprenons pas les racines économiques de ce phénomène, si nous ne tenons pas compte de son importance politique et sociale, nous ne pouvons pas faire un seul pas dans la définition des tâches pratiques du mouvement syndical. L’analyse qui réduit l’impérialisme, par exemple, à la politique étrangère agressive des États-Unis ou des puissants États de l’UE et qui exclut les autres États capitalistes, élimine le critère de base, à savoir la domination des monopoles, la base économique de l’impérialisme. Cette analyse, qui « se cramponne » aux rapports inégaux formés par le développement inégal du système, exonère non seulement les bourgeoisies des États qui ne sont pas au sommet de la pyramide impérialiste, mais aussi le rôle des États bourgeois qui expriment leurs intérêts, traînant ainsi le mouvement ouvrier derrière la bourgeoisie de chaque pays, le conduisant sur des voies très dangereuses. Ces positions constituent la base de ce que l’on appelle le « monde multipolaire », qui repose sur la logique des « mauvais » et des « bons » monopoles et États capitalistes ; leur critère est l’attitude de ces derniers à l’égard des États-Unis. En bref, je pense que cette ligne est une impasse et qu’elle cause de grands dommages au mouvement ouvrier. Il est nécessaire d’intensifier encore la lutte contre ces positions, de combattre les illusions qu’elles génèrent et de prendre conscience de l’importance décisive des monopoles qui constituent la cellule de la base économique de l’impérialisme, de la relation entre économie et politique.

14-Vous êtes également anticapitaliste. Selon vous, le capitalisme est-il en déclin ou vit-il ses meilleurs moments ?

Tant sur le plan théorique que pratique, cette question est inextricablement liée à la précédente. C’est la théorie léniniste de l’impérialisme elle-même qui prouve scientifiquement que l’impérialisme, en tant que stade suprême du capitalisme, est l’ère de la décadence finale d’un système qui n’a plus rien à offrir à l’humanité.

Dans le capitalisme monopoliste, toutes les contradictions qui ont caractérisé la société capitaliste depuis sa naissance sont exacerbées. Si le monopole capitaliste « engendre inévitablement une tendance à la stagnation et à la décadence », il conduit en même temps à la socialisation la plus complète de la production et constitue la meilleure « préparation matérielle », le dernier échelon avant le renversement révolutionnaire du capitalisme. En d’autres termes, la domination des grandes sociétés anonymes dans l’économie capitaliste fonctionne comme un précurseur de la nouvelle société, comme la preuve que les conditions matérielles du dépassement du capitalisme ont mûri.

Tout ce qui nous entoure atteste que le capitalisme est incapable de surmonter ses contradictions. On peut encore dire qu’il n’a pas encore surmonté les conséquences de sa crise des années 1970 et que, bien qu’il soit en déclin prolongé, il refuse de mourir. Certes, les renversements contre-révolutionnaires des années 1990 lui ont donné une extension, un souffle de vie, avec de nouveaux champs de profit, de nouveaux marchés « vierges » qui étaient restés en dehors de la sphère économique capitaliste pendant plus d’un demi-siècle. La crise globale et synchronisée de 2008 a ébranlé le capitalisme et, à l’occasion de la pandémie, l’économie capitaliste mondiale entre déjà dans un nouveau cycle de crise, plus profonde et plus aiguë, comme le reconnaissent les analyses bourgeoises elles-mêmes. C’est pourquoi le capitalisme montre chaque jour davantage son visage réactionnaire et vieilli ainsi que son incapacité à résoudre les questions fondamentales de survie des peuples. Examinons par exemple la période de la pandémie, où la « feuille de vigne » des puissants États capitalistes est tombée et où le fait que le roi était nu a été dévoilé; où on a assisté à l’effondrement des systèmes de santé des États-Unis, de l’Italie, etc., où les patients mouraient dans les couloirs des hôpitaux, où des États « alliés » se volaient mutuellement des ventilateurs et du matériel médical… Mais aussi, d’un autre côté, qu’est-ce que le cours des vaccinations a montré ensuite ? Par exemple, le fait que les États africains n’avaient pas de vaccins et souffraient d’un taux de couverture vaccinale presque nul ne montre-t-il pas l’échec du capitalisme? Cela me rappelle la phrase de Fidel Castro : « Ils parlent de l’échec du socialisme, mais où est le succès du capitalisme en Afrique, en Asie, en Amérique latine ?

Prenons même l’exemple le plus récent de l’inquiétude hypocrite des bourgeois à propos de la crise alimentaire mondiale qu’ils ont « découverte » après la guerre entre l’OTAN et la Russie sur le territoire de l’Ukraine. C’est un fait que l’Ukraine et la Russie sont de grands exportateurs de céréales et d’engrais (ensemble, elles représentent environ 30% des exportations mondiales de blé et 20% des exportations de maïs, tandis que la Russie représente 14% des exportations mondiales d’engrais) et, bien sûr, les opérations de guerre sur le territoire ukrainien, le blocus des ports ukrainiens de la mer Noire, les sanctions euro-atlantiques coordonnées contre la Russie et les contre-mesures russes ont de multiples conséquences sur le secteur alimentaire critique. Mais, parallèlement, tous les rapports internationaux font état d’une augmentation continue du nombre de personnes affamées. Plus précisément, il est indiqué que « le nombre (de personnes affamées) a augmenté de 80% depuis 2016, alors qu’environ 108 millions de personnes dans 48 pays étaient confrontées à une insécurité alimentaire aiguë et avaient besoin d’une aide urgente », tandis que « le nombre (de personnes affamées) a presque doublé entre 2016 et 2021 après être passé de 94 millions à 180 millions. » Imaginez donc l’absurdité d’un système qui marginalise de manière aussi flagrante les besoins des gens: au moment même où de riches magnats vont dans l’espace à bord de leurs vaisseaux spatiaux privés, au moment même où les capacités de production ont atteint des niveaux sans précédent, l’humanité discute encore de la question de savoir s’il y a des gens qui ont faim. Le capitalisme est en train de rendre son dernier souffle et cela me rappelle beaucoup une phrase du philosophe romain Cicéron qui disait que « plus l’effondrement d’un empire est proche, plus ses lois sont folles ». Dans notre cas, plus l’absurdité du système est grande…

15- Comment le mouvement de la classe ouvrière lutte-t-il contre le fascisme?

Au cours des dernières décennies, la nécessité d’une lutte antifasciste des syndicats a émergé de nouveau. La montée de la xénophobie, du racisme, du néo-nazisme, nourrie et développée par l’argent de l’UE et des États-Unis dans le terrain fertile de la crise, de la misère, de l’appauvrissement de masse et de la démassification des syndicats, a remis à l’ordre du jour la question de la lutte antifasciste dans les rangs syndicaux.

L’histoire du mouvement de la classe ouvrière montre que dans les périodes historiques où le capitalisme se sent menacé, la classe bourgeoise a la capacité d’être flexible dans ses tactiques, de faire apparaître de nouveaux représentants politiques et de les promouvoir comme quelque chose de « frais »; de même, elle pousse dans l’arène politique bourgeoise des forces politiques qui végétaient auparavant dans l’obscurité. Le caractère du fascisme en tant que force politique bourgeoise est clairement démontré par la propre expérience historique, qu’il ne faut pas oublier. Après avoir pris le pouvoir en Italie et en Allemagne, avec le soutien généreux du capital monopoliste, le fascisme a soutenu les intérêts des capitalistes sous de multiples formes, en écrasant le mouvement ouvrier et en tentant un renversement armé contre-révolutionnaire de l’avant-garde du mouvement ouvrier mondial, le pouvoir soviétique.

D’autre part, le mouvement, tant dans mon pays que dans le vôtre, sait très bien, de par son expérience historique, que l’existence du fascisme remplit une autre fonction, moins évidente mais très importante pour le système: les partis sociaux-démocrates profitent de l’épouvantail de l’ »extrême droite » pour s’assurer le soutien de leur propre politique de gestion du système, se présentant ainsi comme le soi-disant « moindre mal » pour les couches populaires. Après tout, nous avons vu ce scénario des dizaines de fois dans de nombreux pays.

 

Au troisième congrès du PAME, 2007

Cependant, en substance, toutes les forces fascistes font partie du système et promeuvent partout de manière active et décisive les principaux axes de la stratégie bourgeoise de développement capitaliste. Plus généralement, elles soutiennent la dictature du capital. Elles promeuvent la coopération de classe au nom de l’intérêt national uniforme, occultent la contradiction capital-travail et cherchent à écraser le mouvement ouvrier en présentant les luttes et les revendications ouvrières comme responsables du chômage élevé. Tout au long des années de crise, la rhétorique frauduleuse « anti-ploutocratique » et « patriotique » de ces organisations vise à désorienter et à piéger le mécontentement populaire, en laissant de côté le véritable ennemi, la classe bourgeoise, et en présentant les immigrés, certains banquiers spéculateurs, etc. comme les coupables.

C’est pourquoi la lutte du mouvement ouvrier contre les formations fascistes est une condition indispensable à la contre-attaque ouvrière dont nous parlons. Dans cette perspective, le mouvement syndical de classe doit réaliser que le fascisme est synonyme de capitalisme, de « chair de sa chair », ainsi que sa réserve d’or. Par conséquent, la lutte antifasciste authentique est également une lutte anticapitaliste. Brecht l’avait exprimé de manière caractéristique dans son texte « Cinq difficultés pour écrire la vérité »:

« Dès lors, comment dire la vérité sur le fascisme, dont on se déclare l’adversaire, si l’on ne veut rien dire contre le capitalisme, qui l’engendre? Comment une telle vérité pourrait-elle revêtir une portée pratique?

Ceux qui sont contre le fascisme sans être contre le capitalisme, qui se lamentent sur la barbarie issue de la barbarie, ressemblent à ces gens qui veulent manger leur part du rôti de veau, mais ne veulent pas qu’on tue le veau. Ils veulent bien manger du veau, mais ils ne veulent pas voir le sang.
Il leur suffirait, pour être apaisés, que le boucher se lave les mains avant de servir la viande. Ils ne sont pas contre les rapports de propriété qui engendrent la barbarie, ils sont seulement contre la barbarie.
Ils élèvent leur voix contre la barbarie dans des pays où règnent les mêmes rapports de propriété, mais où les bouchers se lavent les mains avant de servir la viande.
« 

Par conséquent, toute approche qui sépare le fascisme du système qui l’engendre est vouée à l’échec et à la faillite. Ainsi, la lutte syndicale qui cible le fascisme en tant que théorie et en tant que pratique au service du capital peut sortir victorieuse.

Dans le même temps, je m’excuse pour la longue parenthèse que je vais faire, mais je tiens à souligner un point utile concernant un élément qui prive d’élan la lutte syndicale antifasciste: la tolérance à l’égard de la social-démocratie qui, historiquement, a nourri ou collaboré avec le fascisme à de nombreuses reprises. Le fascisme partage des origines historiques, dans une large mesure, avec la social-démocratie, vu que beaucoup de ses principaux dirigeants dans l’entre-deux-guerres étaient issus de la social-démocratie (Mussolini -ancien rédacteur du journal « Avanti », organe central des socialistes italiens, Piłsudski -ancien dirigeant du Parti Socialiste Polonais, Mosley -ancien ministre du deuxième gouvernement de MacDonald); en outre, l’idéologie du fascisme dérive principalement de la ligne élaborée par la social-démocratie. L’idéologie de la social-démocratie a vraiment été le terreau qui a nourri le fascisme dans la période d’après-guerre. La social-démocratie est sortie de la guerre avec deux caractéristiques bien définies: Premièrement, l’alignement de chaque parti sur son propre État « national » – c’est-à-dire impérialiste -et le rejet de toute forme d’internationalisme, à l’exception de celui qui est inoffensif. Deuxièmement, la collaboration de classe sous la forme d’une alliance avec le gouvernement et d’un consensus des syndicats pour aider à construire la prospérité capitaliste comme condition nécessaire à la prospérité de la classe ouvrière. On peut constater que ces principes de base se rapprochent des principes de base du « national-socialisme ». Après la première guerre mondiale, la social-démocratie a assumé deux tâches: Premièrement, faire échouer la révolution de la classe ouvrière; deuxièmement, aider à reconstruire la structure endommagée du capitalisme. La première tâche a amené les dirigeants sociaux-démocrates à s’allier étroitement avec les milieux réactionnaires, militaristes et de la Garde blanche et les a « formés » à assumer la responsabilité gouvernementale de l’extermination des travailleurs militants. La seconde tâche de reconstruction capitaliste, une fois la période de guerre civile directe terminée, exigeait une collaboration toujours plus étroite de la social-démocratie et des syndicats avec le capitalisme monopoliste.

Dans le même temps, la social-démocratie a historiquement aidé le fascisme, dans de nombreux cas, à accéder au pouvoir, et les éléments réactionnaires à écraser l’action du mouvement ouvrier de classe. Il suffit de penser au rôle traître des dirigeants sociaux-démocrates allemands dans la révolution allemande de novembre 1918, lorsqu’en connivence avec des groupes armés réactionnaires, ils ont massacré les dirigeants du prolétariat allemand, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, et écrasé la révolution. C’est pourquoi le front contre la social-démocratie doit être mis au premier plan de notre action antifasciste. La conclusion de Staline selon laquelle « il n’est pas possible de mettre fin au capitalisme sans mettre fin à l’idéologie social-démocrate dans le mouvement ouvrier » n’est pas une coïncidence.

16- Ces dernières années, la lutte des femmes pour l’égalité des sexes et contre le système patriarcal a également repris de la vigueur. La FSM s’est-elle montrée à la hauteur?

Ces dernières années, et à l’occasion de la campagne de l’OIT pour la ratification de la Convention 190 sur la violence et le harcèlement au travail, une intense conversation s’est engagée sur « l’égalité des sexes » et « le système patriarcal ». Certains se sont donc automatiquement demandé quel rôle les syndicats joueraient dans ce contexte? Quelle pourrait être leur contribution à une telle lutte ?

Tout d’abord, permettez-moi de vous dire que pour la FSM, aucun nouveau débat n’a été amorcé;  La lutte des travailleuses n’est pas « renée », tout simplement parce que pour nous, la lutte pour l’égalité des femmes et l’égalité réelle entre les sexes ne s’est jamais arrêtée. Pour nous, la FSM,  le rôle des femmes travailleuses est fondamental dans le mouvement syndical de classe.  Le rôle des femmes travailleuses dans le processus de travail, dans les syndicats, dans la lutte politique, peut donner une force supplémentaire aux luttes populaires du présent et de l’avenir. Le mouvement syndical de classe a toujours adopté une position ferme et a toujours lutté pour l’égalité des droits des travailleuses, pour l’égalité au travail et dans tous les domaines de la vie. Il a lutté pour mettre fin à l’esclavage et à la traite des femmes, pour le droit de vote des femmes, pour leur droit de participer aux syndicats, aux partis politiques, pour leur présence aux postes gouvernementaux et étatiques, ainsi que pour la participation des femmes aux activités sociales et culturelles. Beaucoup de ces droits ont été acquis dans les pays socialistes où les femmes travailleuses ont obtenu le statut qu’elles méritaient. Ces conquêtes des femmes dans l’Union soviétique de l’époque et dans les autres États socialistes ont créé le pouvoir social et la pression nécessaires pour que certaines conquêtes soient également effectuées dans les États capitalistes. Dans ces derniers, par exemple, l’octroi du droit de vote universel aux femmes adultes a été considérablement retardé, non pas parce qu’il s’agissait d’un élément incompatible avec le fonctionnement capitaliste, mais parce que la survie du capitalisme repose, entre autres,  sur la mobilisation et l’intégration de forces réactionnaires précapitalistes, par exemple les mécanismes de manipulation des forces populaires que les confessions religieuses et leurs structures ecclésiastiques possèdent.

Malheureusement, après les renversements contre-révolutionnaires de la période 1989-1991 et le changement dans la corrélation internationale des forces, de nombreux droits et acquis des femmes et des hommes sont supprimés. Aujourd’hui, dans tous les pays capitalistes, les femmes travailleuses souffrent une exploitation implacable. Les femmes travaillent principalement à temps partiel, sans couverture sociale et dans des emplois temporaires. Elles ont un salaire et une pension inférieurs à ceux des hommes et elles sont les premières à être licenciées par les employeurs. Dans de nombreux pays, la violence contre les femmes augmente, les réseaux de prostitution et de traite se développent, la migration économique sépare de nombreuses mères de leurs enfants et de leurs maris. Les femmes aujourd’hui ont un droit d’accès de plus en plus limité à l’éducation, aux activités culturelles et aux loisirs.

Ainsi, aujourd’hui, au cours de la troisième décennie du XXIe siècle, dans de nombreux pays nous constatons une incroyable dégradation sociale des femmes, leur dépendance des hommes, des perceptions et des pratiques obscurantistes, une violence multiforme contre les femmes de la part des membres masculins de la famille, etc. La réaction des courants et mouvements féministes théoriques, principalement des pays européens et des États-Unis, à ce phénomène comprend souvent une explication erronée de celui-ci: il est interprété comme un résultat de la mondialisation, c’est-à-dire de l’importation de capitaux et – par conséquent – de l’expansion des relations capitalistes qui ont un effet dissolvant sur la communauté agricole (en tant que principale unité de production du travail féminin) laquelle est accompagnée de l’expansion de la violence contre les femmes et du renforcement du pouvoir masculin; un régime qu’ils qualifient de « patriarcat ». Cette approche idéalise la situation antérieure, bien qu’elle mette à juste titre l’accent sur la violence capitaliste, qui n’est bien sûr pas seulement exercée sur les femmes, mais aussi sur les hommes. Ainsi, sur cette base, elle exagère le rôle du mouvement féministe et le détache même de l’approche de classe, du mouvement ouvrier en tant que porteur de la lutte contre le capitalisme.

En même temps, cette approche vise à désorienter la classe ouvrière, à la diviser, à inciter les travailleuses à se battre contre les travailleurs et vice-versa. Elle occulte également le fait que toutes les femmes n’ont pas les mêmes problèmes, cachant souvent la racine de classe du problème. Lorsque nous parlons de la « question féminine », nous faisons référence à l’exploitation supplémentaire que les femmes subissent dans la société en raison de leur genre (c’est-à-dire que nous parlons d’une combinaison de discrimination sociale et de discrimination fondée sur le genre). Ces discriminations ont des répercussions mentales, culturelles et morales, car elles empêchent les femmes de développer pleinement et équitablement leurs capacités. Cependant, le cœur du problème est que ces effets négatifs concernent avant tout les femmes de la classe ouvrière, les paysannes laborieuses et les travailleuses indépendantes. En revanche, les femmes de la bourgeoisie trouvent les moyens et les possibilités de résoudre leurs problèmes.

La solution et l’issue résident donc dans les luttes communes des femmes et des hommes contre le système social qui engendre l’exploitation de l’homme par l’homme. Après tout, le mouvement syndical de classe a pour tâche de lutter pour les petits et les grands problèmes jusqu’à la libération finale de notre classe. C’est également la voie suivie par la FSM, avec une attention particulière pour l’inclusion organique des femmes dans les luttes du mouvement syndical de classe, non pas en tant qu’élément décoratif, mais en tant que partie intégrante et préalable au triomphe final de la classe ouvrière. En tant que FSM, nous avons lutté contre les perceptions anachroniques, nous avons lutté pour la création de comités de femmes dans les syndicats de base, nous avons organisé des congrès mondiaux de femmes travailleuses, nous avons lutté pour la représentation de nos sœurs de classe dans les organes de direction des syndicats, nous avons combattu les notions bourgeoises et réformistes sur le rôle du mouvement des femmes, nous avons établi un Comité mondial des femmes travailleuses. En gardant toujours à l’esprit que les revendications les plus progressistes, les positions les plus avancées pour l’émancipation substantielle des femmes ont été inscrites sur les bannières et les drapeaux de la FSM; dans la « Charte des droits syndicaux » de la FSM, les aspirations, les espoirs et les revendications des femmes de notre classe ont été concrétisés.

17-Le patronat national et international, les gouvernements bourgeois, les syndicats jaunes et collaborationnistes…n’ont-ils pas trop d’ennemis à affronter?

Je vais renverser la question et demander: « La bourgeoisie et ses mécanismes impérialistes n’ont-ils pas trop d’ennemis à affronter? Pensez aux 250 millions de travailleurs qui se sont mis en grève dans les rues de l’Inde en 2020 et qui ont paralysé cet immense pays, avec les syndicats, les membres et les cadres de la FSM en première ligne de l’organisation de cette lutte. Pensez encore aux 110 millions de membres de la FSM dans le monde qui vivent, travaillent et luttent pour l’avenir de notre classe. Pensez aux grandes luttes des travailleurs en grève en France, en Grèce, en Espagne, en Turquie et dans tant d’autres pays. Si vous étiez à la place des bourgeois, ne craindriez-vous pas que votre royaume soit menacé par la classe qui a déjà aboli l’exploitation une fois dans l’histoire ?

 

À Mexico, Mexique, manifestation du Frente Auténtico del Campo (FAC), 2017

La vérité, c’est que les bourgeois ont peur et c’est pourquoi ils prennent des mesures. C’est pourquoi ils dépensent des millions dans des mécanismes répressifs, dans de nouvelles technologies de répression, dans des ONG qui corrompent les consciences. C’est pourquoi ils promeuvent toutes sortes de « Fondations Friedrich Ebert » qui agiront comme des « pompiers » pour « éteindre » les luttes de classe. C’est pourquoi ils cultivent la rivalité entre les travailleurs, c’est pourquoi ils réécrivent et falsifient l’histoire, c’est pourquoi ils divisent la classe ouvrière, c’est pourquoi ils soutiennent les syndicats jaunes, c’est pourquoi ils investissent dans la propagande de « nouvelle génération » avec les réseaux sociaux et les « fake news », c’est-à-dire l’intervention hybride des nouveaux mécanismes de répression idéologique. En d’autres termes, le « spectre » de la classe ouvrière hante à nouveau le monde entier et fait perdre le sommeil à la bourgeoisie qui, aujourd’hui encore, voit les luttes ouvrières dans ses cauchemars. L’espoir de la classe ouvrière mondiale réside dans les luttes qui se déroulent sans cesse aux quatre coins de la planète.

Alors, en tant que mouvement syndical de classe, nous sommes optimistes quant à l’avenir. En effet, les ennemis qui nous combattent sont nombreux et apparemment puissants, armés jusqu’aux dents, avec d’innombrables ressources et mécanismes. Mais l’avenir nous appartient, l’avenir appartient à la classe qui se prépare à éliminer l’exploitation une fois pour toutes. Et ce qui nous aide, c’est notre boussole stable, le fait que nous savons où nous voulons aller. Car nous voulons apporter la véritable nouveauté qui naît aujourd’hui à chaque petite ou grande grève, à chaque petit ou grand rassemblement. Nous voulons une société où la prospérité, la créativité, la productivité et la solidarité remplacent la pourriture des profits, des guerres impérialistes et de l’exploitation de l’homme par l’homme. Nous voulons une société où le peuple travailleur sera au pouvoir, une société où le mot « exploitation » disparaîtra des dictionnaires. Et nous savons que nous allons gagner.

V. La FSM du 21ème siècle

18- Que pensez-vous du 18ème Congrès de Rome ?

La FSM a organisé tout au long de son histoire les plus magnifiques Congrès Syndicaux Mondiaux.

J’ai participé au 13ème, 14ème, 15ème, 16ème, 17ème et 18ème Congrès. Tous les congrès ont été des congrès de positions idéologiques et de réflexions sociales. Contrairement aux congrès de la CISL et de la CSI, qui sont des congrès de lutte pour les sièges, de négociations, d’attentes financières et de partage du pouvoir, dans nos congrès, les confrontations ont porté et porteront toujours sur les questions théoriques de chaque époque et sur la manière dont nos choix théoriques et idéologiques seront mis en pratique.

Le 18e Congrès a donc analysé, sur la base de la théorie marxiste, le monde contemporain et les tâches pratiques qui en découlent, dans le but de défendre les travailleurs et de renforcer la perception de classe au sein de la base syndicale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

18e Congrès de la FSM à Rome, mai 2022

Ainsi, la réussite principale du 18ème Congrès est d’avoir discuté, décidé et voté le texte important « Priorités 2022-2027 », sous le titre de « Déclaration de Rome ». Ce document est une conquête.

L’autre aspect important de ce congrès est que, bien qu’il s’agisse d’un congrès ordinaire, il avait en fait les caractéristiques d’un congrès extraordinaire. Les restrictions sur les vols internationaux, les protocoles sanitaires stricts de tous les pays et les millions de gens ordinaires qui ont perdu la vie au cours de la pandémie de COVID-19 nous ont obligés à limiter le nombre de délégués à 450; certains d’entre eux ont participé et voté par Internet.

Ainsi, malgré ces limitations et bien d’autres, nous avons réussi à organiser un congrès militant, démocratique et unitaire.

Le troisième élément du 18e Congrès est que, pour la première fois depuis de nombreuses décennies, nous avons eu un changement de direction en douceur. L’élection du nouveau Secrétaire Général a eu lieu à bulletin secret et a obtenu 92% des voix. Il est de notre devoir à tous de soutenir la ligne militante et la nouvelle direction.

Personnellement, je ressens le besoin d’appeler tous les cadres de la FSM à tous les niveaux à soutenir les principes de la ligne de classe et à aider le nouveau Secrétaire Général. À cette occasion, je tiens à expliquer que j’en assume bien entendu la responsabilité, puisque c’est moi qui ai eu l’idée et pris la décision de proposer le camarade Pambis Kyritsis comme candidat à ce poste particulier. Certains de mes chers camarades Certains de mes chers camarades m’ont reproché que le nouveau Secrétaire Général vient d’un petit pays et d’un petit syndicat. Je leur ai expliqué et je le dis publiquement que depuis sept (7) ans, j’ai discuté et proposé des personnes issues de grands syndicats d’Asie, d’Afrique et d’Europe. Pour des raisons qui leur sont propres, ces syndicats n’ont pas accepté.

Cependant, outre l’élection d’un nouveau secrétaire général, nous avons également élu de nombreux nouveaux cadres, dont la plupart sont jeunes. Nous avons également pu compter de nouveau sur la présence d’une femme au sein du Secrétariat.

Tout ce qui précède, de manière cumulative, montre que dans des circonstances extraordinaires, grâce à un travail collectif et acharné et à la persévérance, nous avons atteint les objectifs du 18e Congrès. Son succès est également dû aux membres, amis et dirigeants de l’USB Italie, qui ont été d’excellents hôtes.

19-Quels sont les plus grands défis pour la nouvelle direction de la FSM ?

Les défis et les nouveaux besoins ne cessent jamais de surgir. Les documents votés à Rome et, en même temps, tout ce que la vie et les nouveaux développements apportent, constituent la base directrice..

Pour les syndicats militants, les revendications des travailleurs concernant leur salaire, leur sécurité sociale, leur pension et leurs droits de travail constituent toujours une constante. Les guerres impérialistes et les rivalités intra-impérialistes sont également des questions clés, tout comme les problèmes de la vie, de l’environnement, de la civilisation et de la culture. Personnellement, je pense que le problème qui va s’aggraver est la restriction drastique des libertés démocratiques et syndicales à l’encontre des prochaines générations de travailleurs. Que la sonnette d’alarme retentisse fort, qu’elle devienne un appel général à lutter pour la défense et l’expansion des libertés démocratiques, le respect de la vie privée, de la personnalité et des particularités de chaque individu.

Je fais confiance aux membres et aux amis de la FSM, ils peuvent relever ces défis parce qu’ils ont une sensibilité développée et un véritable intérêt pour toutes les questions contemporaines; en même temps, nous avons de très bonnes élaborations, par exemple sur l’eau et les ressources aquatiques, sur le milieu de travail et les nécessités modernes des travailleurs, sur la question de l’alimentation, sur les questions culturelles telles que la nécessité de restituer les biens culturels volés à leur pays d’origine et la protection des langues maternelles et des dialectes particuliers. Pour toute nouvelle direction qui prend en charge une organisation syndicale de masse aussi importante, il existe trois possibilités principales:

Premièrement, développer et améliorer davantage les caractéristiques qualitatives et quantitatives de l’organisation. Deuxièmement, entrer dans une période de stagnation et troisièmement, connaître un recul et une régression.

La FSM comprend des militants compétents à tous les niveaux et nous travaillerons tous ensemble pour renforcer la FSM; pour un renforcement numérique et quantitatif, mais en même temps qualitatif. Au cours des 20 dernières années, outre l’amélioration quantitative, qui est également nécessaire, des luttes qualitatives essentielles ont été gagnées, comme ce grand ralliement aux principes de la lutte de classe, le rejet des théories de la collaboration de classe, comme l’attitude audacieuse et courageuse au sein des organisations internationales, comme la mise en place d’un meilleur niveau de fonctionnement démocratique, comme la révélation  idéologique du rôle de la CISL-CSI, de la CES et de leurs groupes dirigeants bureaucratiques, comme nos analyses et positions sur les soi-disant ONG, l’aristocratie ouvrière, les problèmes sociaux de corruption au sein des syndicats et bien d’autres choses encore.

À mon avis, ce caractéristique a apporté de la massification, fierté et  satisfaction à nos affiliés et à nos cadres. Enfin, permettez-moi de souligner un risque existant. Vu que la pauvreté, le chômage, le travail non déclaré, etc. augmentent et sont mis  -à juste titre- au premier plan de l’action quotidienne, Il faut faire attention à ce que les syndicats ne soient pas piégés dans la routine. Notre lutte et la lutte de classe doivent toujours avoir en première ligne la lutte pour l’émancipation des travailleurs, pour leur libération de l’esclavage capitaliste. Souvent, le stress quotidien amplifie et rend absolu le présent et cache complètement aux yeux des travailleurs l’avenir nécessaire. Dans ce cas, les syndicats deviennent des co-gestionnaires du système et les risques pour les intérêts des travailleurs et pour la mission des syndicats augmentent.

20-Quel sera le rôle de Mavrikos à partir de maintenant ?

J’avais annoncé publiquement que je ne serais plus candidat au poste de Secrétaire Général. Je l’ai expliqué lors du17ème Congrès à Durban, en Afrique du Sud, devant tous les délégués du Congrès. Je demande la compréhension de tous les collègues et camarades qui ont recueilli des signatures et lancé des campagnes pour que je reste. Ceux qui me connaissent personnellement savent que l’annonce que j’ai faite à Durban était un fruit de réalisme, de réflexion et de conscience.

Depuis plus de 50 ans que je participe aux luttes sociales, j’ai toujours soutenu que les dirigeants devaient partir à temps, aider de nouveaux dirigeants à émerger et ne pas se laisser vaincre par le temps et l’âge. J’ai toujours exprimé cette idée et il est maintenant temps de l’implémenter. Dans mon dernier discours au 18e Congrès, j’ai expliqué ce sujet plus en détail.

Je m’étais préparé psychologiquement, émotionnellement et politiquement à ce changement dans ma vie. J’étais prêt. Je n’ai pas été surpris, même si le changement dans la façon de « fonctionner » au quotidien est important. Il n’est pas facile de changer des habitudes d’un demi-siècle.

Bien sûr, je n’arrête pas d’être actif; je prends consciemment ma place dans « l’arrière-garde » comme un simple soldat, mais avec l’arme à portée de main. J’ai déjà discuté avec des militants de la FSM de tous les continents au cours des dernières années et nous aimerions aider les jeunes militants avec des séminaires de formation théorique, idéologique et syndicale; non pas pour devenir des « professeurs » mais pour aider de manière auxiliaire comme le fait l’intendance militaire.

21- De Rome à Skyros?

Skyros est l’endroit où je suis né et où mon caractère s’est formé; l’endroit où se trouvent mes souvenirs d’enfance et de jeunesse et où se trouve la tombe de tous mes ancêtres, de mes parents et de ma femme. Je n’ai jamais oublié Skyros et mes racines. Je suis attaché à ses habitants, à leur vie et à leurs préoccupations, à leurs traditions culturelles, à leurs coutumes et à leurs habitudes. J’ai essayé de suivre les événements et d’être présent lorsqu’il y avait des difficultés et j’étais toujours à Skyros quand je le pouvais. Un jour, j’ai voyagé de New Delhi (Inde) à Athènes et dès que l’avion a atterri à Athènes, je suis partie pour l’île directement depuis l’aéroport. J’ai même prononcé un discours par téléphone lors d’une réunion d’habitants de l’île, alors que j’étais en Afrique du Sud.

Skyros, 2017

Skyros m’a rendu mille fois l’amour que j’ai pour elle et ses habitants. J’ai été très ému lorsque, dans l’un de mes discours en tant que député au parlement grec, j’ai parlé des revendications des éleveurs de Skyros et que les centaines d’habitants qui s’étaient rassemblés pour regarder mon discours à la télévision ont pris ma mère dans leurs bras, l’ont serrée et l’ont embrassée. Ces témoignages de gratitude n’étaient pas rares.

Si j’ai prononcé mes deux derniers discours au Congrès de Rome en grec, c’est aussi parce que mes compatriotes de l’île me l’avaient demandé et que certains de leurs amis avaient suivi mon dernier discours d’adieu par Internet. De retour de Rome, j’ai passé deux jours sur l’île et, j’y retourne dans une semaine et j’y reste deux mois. Il est étrange de rester 60 jours sur l’île. Mes séjours ont toujours été de 5, 10 ou 20 jours au maximum. La dernière fois que j’ai passé deux mois sur l’île, c’était en 1971, il y a donc 50 ans!

Mes amis, mes parents et mes anciens camarades de classe se préparent à organiser ce qu’ils appellent le bilan final; ils me disent que je dois leur présenter un rapport sur ce que j’ai fait pendant toutes ces années. Je sais qu’ils sont tous gentils avec moi, mais qu’ils sont stricts. Nous nous connaissions tous très bien et personne ne peut tromper personne.

Mon juge le plus sévère pendant les huit années de mon mandat de député a été ma mère. Deux ou trois fois par semaine, elle m’appelait pour se plaindre des pensions des agriculteurs, de l’augmentation des prix, du coût des intrants agricoles, de la nécessité pour le ministère de la santé d’envoyer un deuxième médecin rural sur l’île, etc. Malheureusement, maintenant que mon fils est médecin de campagne à Skyros, elle n’est plus en vie.

Le 1er mai 1999, mon père est décédé à l’âge de 88 ans. Avant de mourir, il m’a demandé de ne pas vendre les 30 chevreaux qu’il possédait. Mes frères et sœurs et moi-même avons respecté sa volonté. Je dois donc maintenant m’occuper des chèvres d’une manière ou d’une autre. Mes proches ont raison de se plaindre. Ils se sont occupés d’elles pendant tant d’années, maintenant ce sera mon tour! Même en tant qu’assistant…

Jusqu’au 4 septembre, je serai donc à Skyros; je serai en contact avec d’autres camarades pour préparer des séminaires internationaux gratuits d’éducation syndicale; je continuerai à pratiquer le tir dans les montagnes de Skyros et, à l’automne, je déposerai peut-être une nouvelle demande de visa pour les États-Unis. J’ai un frère qui est émigré aux États-Unis, je ne l’ai pas vu depuis de nombreuses années et comme notre âge avance, j’aimerais le revoir.

En conclusion, je suis heureux et chanceux d’avoir l’opportunité de me rendre plus souvent dans mon lieu d’origine. Je me sens chanceux d’être en vie, même par hasard, car je n’aurais jamais pu avoir la chance de retourner dans mon village si, par exemple, nous n’avions pas été très chanceux les passagers de l’avion qui, après une explosion, a été contraint à un atterrissage d’urgence à Téhéran en 2012; ou en 2003, lorsque l’armée israélienne m’a arrêté avec 8 autres chers camarades et nous a gardés debout dans un ruisseau, les mains en l’air, toute la nuit, en pointant des lasers sur nos têtes; ou même en 2007, si nous n’avions pas évité par hasard l’explosion d’une bombe paramilitaire à Bogota, en Colombie, parce que nous étions en retard de quelques minutes à un lieu de rencontre avec des dirigeants du mouvement de classe colombien, les choses auraient été différentes. Pour toutes ces raisons, je me sens chanceux, d’autant plus qu’à côté de nous, dans les luttes, certaines personnes ont donné leur vie et que leur sacrifice nous a appris que le révolutionnaire doit être prêt à donner sa vie à la minute suivante pour la lutte et, en même temps, à planifier les luttes suivantes comme s’il lui restait encore deux vies à vivre.

Voir la publication en espagnol sur « Rebellion » ici: https://rebelion.org/el-fantasma-de-la-clase-obrera-vuelta-a-recorrer-el-mundo-entero-y-hace-que-la- bourgeoisie-sees-even-today-in-its-nightmares-the-workers-struggles/

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